Ce fut après avoir tenté quelques essais poétiques qu’il tourna ses regards vers l’ancienne Scandinavie. Il comprit qu’il y avait là une mine féconde, une mine nationale à exploiter. Il prit des livres islandais, et cette fois il étudia avec ardeur. Il avait pour maître un homme singulier, qui rappelle l’Antiquaire de Walter Scott.
« Le vieux Arndt était, dit-il, l’une des plus curieuses caricatures des temps modernes. Je le vois toujours avec ses bottes crottées, sa jaquette bleue et ses grands cheveux blonds qui lui tombaient jusque sur les reins. Il était né à Altona, et n’avait fait que voyager à travers l’antiquité, ne se souciant pas le moins du monde de son époque. D’abord il avait étudié la botanique ; mais bientôt les inscriptions de sépulcres, les runes remplacèrent pour lui les plantes et les fleurs. C’était un antiquaire de la première espèce. Tout ce qui vivait encore ne lui inspirait qu’un profond dédain. Mais il aimait les vieux monumens enfouis dans la terre, les traditions écrites dans les langues mortes et à moitié oubliées. Il regardait l’Europe comme un grand cabinet d’étude où il s’en allait de long en large chercher des citations. Une fois il pénétra au fond de la Finlande pour y dessiner quelques pierres runiques. Une autre fois il arrivait aux portes de Paris ; il se rappela qu’il avait laissé un manuscrit sous un monceau de pierres près de Lubeck : il partit aussitôt pour aller le chercher ; puis il prit la route de Venise pour y copier une inscription grecque. Toute idée de progrès littéraire, toute discussion politique, lui étaient complètement étrangères, et s’il en parlait quelquefois, c’était avec un mépris bien prononcé. Dans ses voyages, il allait tranquillement s’installer chez le prêtre ou le paysan. Il s’asseyait à leur table, il dormait dans leur lit, et souvent il ne récompensait leur hospitalité que par des reproches. Il avait l’intime persuasion que leur devoir était de prendre soin d’un homme comme lui, qui, pour se dévouer à l’étude de l’antiquité, renonçait aux jouissances habituelles de la vie. Un jour il se mit en colère contre une domestique parce qu’elle avait nettoyé ses bottes. « Quand mes bottes sont sales, s’écria-t-il, je passe dans le ruisseau, et tout est dit. » Souvent les gens à qui il s’adressait le mirent à la porte, souvent même il fut battu ; mais il allait toujours son chemin sans se décourager. Il n’avait point d’ami et point de foyer. Il portait ses manuscrits dans ses poches jusqu’à ce qu’elles fussent pleines. Alors il les