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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/85

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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

munes, Addison essaya vainement d’ouvrir la bouche sur un bill en discussion ; il ne put jamais achever sa première période, et resta muet devant une plaisanterie de l’opposition. Il paraît que son goût sévère et circonspect, son purisme de diction, ne le servaient pas mieux dans le cabinet qu’au parlement. Il ne pouvait se résoudre à signer, sans les refaire, des lettres de bureau ; et quoique les hommes d’état anglais en soient moins chargés que les nôtres, rien ne s’expédiait dans son ministère. Ajoutez qu’Addison, homme d’étude avant tout, et ambitieux seulement parce qu’il était vain, manquait de cette décision de caractère et d’esprit que demandent surtout les affaires, et sans laquelle un homme ne compte pas en politique. Sa grande réputation littéraire et sa fidélité à son parti l’avaient porté au gouvernement ; mais elles l’y laissèrent incapable.

Il le sentit bientôt lui-même ; et au bout d’un an, il se retira du ministère avec une pension de 1,600 guinées. Il donna pour motif sa mauvaise santé. Addison, d’un caractère inquiet et jaloux, malgré ses principes sévèrement religieux, paraît avoir été toute sa vie victime de son amour-propre. Pour donner un appui à sa fortune politique, il avait long-temps recherché la main de la comtesse de Warwick, douairière de haute naissance et d’humeur difficile, dont il avait, dans sa jeunesse, élevé le fils. Cette union inégale ne fut pas heureuse. Humilié dans sa famille comme au parlement, le philosophe qui avait écrit tant de piquantes et sévères censures des faiblesses humaines, mourut de langueur et de chagrin à quarante-huit ans.

Sa réputation poétique lui a peu survécu ; il n’était pas fait pour les grands ouvrages, et n’avait pas les hautes parties du génie littéraire. Mais sa prose vivra dans la langue anglaise, par la correction facile, la pureté, l’élégance. Les peintures générales de mœurs, les caractères originaux, enfin les fragmens de critique jetés par lui dans le Spectateur, n’ont jamais été surpassés, malgré tant d’essais semblables : c’est le style anglais dans sa perfection. Goldsmith en Irlande, Francklin en Amérique l’ont pris pour modèle. Sans doute, depuis Addison, la critique littéraire est devenue plus métaphysique, plus raffinée, plus savante ; elle a pris le beau nom d’esthétique. Mais a-t-elle rien fait de préférable aux gracieux et élégans chapitres du Spectateur sur l’imagination ?