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Décius, se dévouant eux-mêmes, sont morts, les Fabius ont péri, et le grand Scipion a vaincu ; Pompée même a combattu pour César.
Pendant que le parti des whigs, chassé des affaires, triomphait au théâtre, une révolution politique se préparait pour lui. On sait combien furent agitées les dernières années de la reine Anne, par le projet de laisser en mourant le trône à son frère, et de rétablir, après elle, la ligne directe de Jacques II : projet impossible, qu’une illusion de cour et de famille rendait vraisemblable. Les ministres, favoris de la reine, se divisaient ou sur le but même, ou sur les moyens. Après de longues luttes, Oxford fut sacrifié. Bolingbroke, plus jeune, plus hardi, plus confiant, resta maître du pouvoir ; mais la reine, à bout de ses forces, mourut trois jours après, sans avoir achevé. La puissance revint aux whigs, contre lesquels les tories pouvaient lutter, mais non les jacobites. La succession protestante fut déclarée, et George appelé d’Hanovre au trône d’Angleterre.
Quelque temps avant cette crise, Swift, nommé par Oxford au riche doyenné de Saint-Patrice en Irlande, s’était mis en route pour son canonicat. Bolingbroke se hâta de le rappeler.
Le comte d’Oxford, lui écrivait-il, a été éloigné mardi ; la reine est morte samedi. Qu’est-ce que ce monde ? et comme la fortune se raille de nous !… J’ai perdu tout par la mort de la reine, excepté mon courage. Les whigs sont un tas de jacobites ; ce sera le cri public dans un mois, si vous le voulez.
Malgré tout ce que Bolingbroke espérait des fascinations de son malicieux ami, celui-ci ne revint pas, et s’enveloppa dans sa riche prébende. Tombé du ministère, Bolingbroke fut alors poursuivi et décrété pour la chose même qu’il avait souhaitée plutôt qu’entreprise. Sa fuite le sauva, tandis qu’on accusait son rival, Oxford, d’avoir été son complice, et Prior de les avoir servis tous deux. La littérature se tut dans ce conflit. George Ier monta sur le trône ; les whigs s’établirent au pouvoir, et l’auteur de Caton devint ministre d’état.
Addison, et j’en ai bien du regret, fut un très médiocre ministre d’état. Cet esprit élégant, qui jugeait si finement les partis, manquait tout-à-fait de force et d’assurance pour les combattre en face, dans une assemblée. Membre de la chambre des com-