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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

accepté le reproche en se faisant garde-des-sceaux du prétendant, Bolingbroke, bientôt disgracié dans l’exil même par le parti qu’il voulait servir, s’était retourné vers les whigs vainqueurs, et avait sollicité de George Ier son rappel en Angleterre. Il l’attendit longtemps, et l’avait acheté bien cher. Mais enfin, en 1723, à l’expiration du parlement qui avait porté un bill d’attainder contre lui, il fut rappelé par amnistie royale, sans être pourtant rétabli dans ses droits politiques et civils. Quelque faible que fût cette grace qui le ramenait désarmé dans son pays, il la saisit avec joie, et quitta sa belle retraite de Touraine et les hardis entretiens de Voltaire, pour venir embrasser Pope et le peu d’amis fidèles à sa cause.

Un d’eux, Swift, confiné, depuis la chute de Bolingbroke et d’Oxford, dans son doyenné de Saint-Patrice, avait su tirer de cette condition une influence nouvelle et sans exemple jusqu’à lui. Le sceptique auteur du conte du Tonneau n’avait plus été qu’un prêtre irlandais, plein de zèle et de charité pour ses frères ; l’esprit politique avait reparu dans sa manière de les servir. On sait combien l’Irlande, accablée depuis tant d’années par des lois oppressives, était inculte et arriérée. Un petit nombre de seigneurs, attaché à la religion dominante, y vivait dans l’insolence et dans un luxe grossier. Le peuple était pauvre, et tous les efforts de l’industrie nationale ruinés par la concurrence anglaise. Le doyen de Saint-Patrice, usant à Dublin de la liberté de la presse, comme il l’avait fait à Londres, devint le défenseur du commerce de l’Irlande. Par ses pamphlets il décrédite les produits étrangers, et apprend à l’Irlande à se suffire à elle-même, et à s’enrichir, en n’achetant pas aux Anglais. Le gouvernement fit poursuivre ses écrits, et condamner son imprimeur. Mais Swift porta bientôt la guerre sur un autre point. Le parlement avait autorisé pour l’Irlande l’émission d’une petite monnaie de cuivre de bas aloi, qui devait remplacer, dans les ateliers et le commerce, un papier dès long-temps en usage. Swift dénonça ce monopole d’un genre nouveau dans ses lettres du Drapier, et le fit échouer par la défiance universelle.

Dès-lors il fut l’idole du peuple de Dublin ; on célébrait sa fête dans les familles et dans les réunions publiques ; des acclamations s’élevaient sur son passage ; les corporations de métiers se sou-