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mettaient à ses avis ; on demandait son choix pour les élections municipales ; et ce philosophe malicieux et misanthrope était vénéré comme un génie bienfaisant.

À cet ascendant de popularité, le doyen de Saint-Patrice savait unir une autre influence délicate et mystérieuse. Par sa brillante imagination, par son esprit tour à tour enjoué et sévère, par les caprices même de son humeur égoïste, mais passionnée, il avait singulièrement l’art de plaire aux femmes, et de captiver leur esprit. Il était entouré de leurs assiduités ; elles écoutaient avidement ses paroles amères ou gracieuses ; elles transcrivaient ses vers, et entretenaient pour lui, dans la haute société de Dublin, le même enthousiasme qu’il avait excité dans le peuple.

Cependant Bolingbroke, après huit ans d’exil, rendu à l’Angleterre par la tolérance d’un ennemi puissant, avait attendu deux ans un bill qui fît régulièrement cesser à son égard l’interdiction civile dont l’avait frappé le parlement de 1716.

Enfin, écrivait-il à Swift, voilà ma restauration accomplie aux deux tiers : ma personne est sauve, et mon patrimoine, avec toute autre propriété que j’ai acquise ou que je peux acquérir, m’est garanti ; mais le bill d’attainder est soigneusement et prudemment maintenu, de peur qu’un membre aussi gâté que moi ne revienne dans la chambre des lords, et, par son mauvais levain, n’aigrisse cette masse douce et pure.

On conçoit en effet la précaution. Walpole voulait bien amnistier un ennemi, mais non relever un rival ; et tel était le génie puissant et séducteur de Bolingbroke, que, même après tant de fautes, au milieu de tous les partis dont il avait trompé l’espérance, on craignait encore qu’il ne s’ouvrît, à force de rétractations et d’éloquence, une nouvelle carrière d’ambition. Un député du parti de Walpole, peu rassuré par l’exclusion antérieure qui ne s’appliquait qu’à la pairie, proposa même d’insérer, dans le bill qui rendait à Bolingbroke le droit d’hériter et d’acquérir, une clause spéciale pour le déclarer inhabile à siéger dans l’une ou l’autre chambre. Mais la disposition parut superflue, et on s’en tint aux conséquences réservées de l’ancien bill.

À Bolingbroke, exclu des deux chambres, restait la liberté de la presse. Mais il n’essaya pas d’abord de s’en servir, et parut tenté d’une vie plus paisible. Il acheta dans le comté de Middles-