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discussion, il ne descendra pas jusqu’aux régions tumultueuses de la colère, mais il contemplera d’un regard paisible et dédaigneux les angoisses de l’orgueil ; car jamais la critique n’a mérité la haine de M. Hugo, si ce n’est par sa franchise. Il faudrait un incroyable aveuglement pour méconnaître le profit que l’auteur des Orientales a retiré des luttes livrées autour de ses ouvrages ; s’il eût été accepté d’emblée, il ne serait pas à la place qu’il occupe aujourd’hui. Ses premières années ont été laborieuses, nous ne l’avons pas oublié. Il est arrivé à plus d’un esprit frivole d’insister exclusivement sur la singularité des premières odes, et de fermer les yeux sur les qualités qui les recommandaient à l’attention ; mais cette raillerie acharnée n’a pas été sans utilité pour M. Hugo, puisqu’elle a contribué à fixer l’attention sur lui. D’ailleurs M. Hugo, qui, pendant trois ans, a pratiqué la discussion littéraire qu’il maudit aujourd’hui, M. Hugo, instruit par sa propre expérience, sait très bien distinguer la critique sérieuse de la critique railleuse, et depuis dix ans, depuis la publication de Cromwell, il a été étudié, commenté, jugé sérieusement. Si la critique a quelque chose à se reprocher en ce qui le concerne, c’est son extrême complaisance. Elle a cru bien faire en le soutenant, et elle l’a soutenu. Elle a expliqué à plusieurs reprises aux esprits indolens ou entêtés tout ce qu’il y avait de hardi dans les tentatives, de magnifique dans les promesses du poète ; elle s’est presque rendue solidaire de l’accomplissement des programmes que M. Hugo publiait dans chacune de ses préfaces. Est-ce la faute de la critique si le poète a manqué à ses promesses, s’il nous a raconté les merveilles d’un Éden dont les portes sont demeurées fermées ? Les éloges complaisans que la presse a prodigués à l’auteur de Cromwell, au lieu de l’affermir dans les résolutions qu’il annonçait, et de l’encourager à chercher dans ses œuvres futures la démonstration des principes qu’il formulait en toute occasion, lui ont donné de lui-même une opinion exagérée, et lui ont persuadé qu’il lui suffirait, pour occuper la première place, de se l’adjuger. Les applaudissemens, qui auraient dû lui inspirer une défiance salutaire, l’ont mené, par une pente insensible, à croire que chacune de ses paroles avait nécessairement une valeur infinie, et que la discussion ne pouvait l’atteindre sans profaner sa majesté sacrée. Quand la critique, effrayée du vertige qui emportait le poète, a voulu réparer par la franchise le mal qu’elle avait fait ; quand elle a voulu changer le rôle d’auxiliaire pour celui de conseiller, M. Hugo n’était plus capable de clairvoyance ; il avait déjà trouvé en lui-même un prêtre et un autel ; il avait fondé une