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maison d’orphelins. Le major Chljustin et le major Bergshuikow consacraient leurs terres et leur fortune à fonder des établissemens philantropiques. D’autres créaient des écoles forestières, des hôpitaux, des écoles navales et une multitude de fondations[1].

L’empereur Nicolas trouva donc, à son avénement, tous les esprits dirigés vers les améliorations matérielles ; il vit que le patriotisme des nobles, stimulé par les distinctions que l’empereur Alexandre avait prodiguées à tous ceux qui s’occupaient d’augmenter le bien-être de la nation russe, pouvait produire de grandes choses ; et, en même temps que son ardent amour pour son pays l’entraînait dans cette direction, il démêla, avec sa sagacité ordinaire, tout le parti qu’on pouvait tirer de cette situation.

En suivant les faits de ces trois règnes, et en observant le caractère du règne actuel, on ne peut s’empêcher d’être frappé du bonheur constant de la Russie, et de l’appropriation parfaite du caractère de ses souverains aux besoins des temps où ils ont vécu. Catherine II avait poli l’aristocratie russe ; mais les dernières années de son règne avaient opéré un relâchement général, et la corruption, les désordres de sa cour, avaient notablement diminué dans la noblesse le respect et la crainte du pouvoir royal, dont l’unité était si nécessaire. Vint alors Paul Ier, en qui la fermeté et la vigueur furent portées jusqu’à l’excès peut-être ; mais alors l’excès même de l’autorité n’était pas de trop. Il faut avoir vu chez elle la noblesse russe, même celle de ce temps-ci, pour savoir que l’empereur Paul Ier n’agissait pas en despote insensé, mais en prince qui connaissait les dangers de sa position, quand il disait à un Narishkin qui réclamait un privilége dû à son rang : « Sachez, monsieur, qu’il n’y a en Russie de grands seigneurs que ceux à qui je parle, et encore ne le sont-ils qu’aussi long-temps que je veux bien leur parler. » Ce règne de la force brutale fut court, il est vrai, et se termina violemment ; mais il était nécessaire, et il fut efficace. Les quatre années du règne de Paul Ier ne furent pas des années perdues pour la Russie ; au contraire, elle s’en trouva bien, et un étranger serait bien étonné si on lui disait que l’empereur Paul a laissé dans la nation quelques bons souvenirs que n’a pu effacer tout le règne de l’empereur Alexandre.

L’empereur Alexandre vint à son tour à propos. Il vint avec des idées libérales, à une époque où elles avaient encore quelque crédit

  1. Compte-rendu du ministre de l’intérieur Kotschubeij pour 1803 et 1804.