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DE LA RUSSIE.

portable, on put faire quelques manœuvres. La flotte était formée sur deux lignes ; la seconde, qui avait le côté du vent, reçut ordre d’attaquer une des ailes de la première, et cela en doublant cette aile, de sorte que la division d’attaque eut les navires moitié au-dessous et moitié au-dessus du vent. La tête de la colonne attaquée dut virer et venir au secours de son arrière-garde.

« Je ne dirai pas que cette manœuvre fut bien exécutée. Quelques navires, dans leur empressement, firent trop de voile, aucun d’eux ne serrait assez vivement l’ennemi ; le feu était trop lent, trop peu soutenu. Il est vrai de dire que le mauvais temps des jours précédens nous avait laissé une mer fort agitée ; je crois cependant que l’empereur lui-même fut très mécontent de la manière dont ces mouvemens furent exécutés.

« Le tir à la cible est, dit-on, très juste dans la marine russe, mais je n’ai pas eu occasion de m’en assurer par moi-même. À bord de notre corvette, les marins s’acquittèrent de leurs fonctions, chacun selon son poste de combat, avec autant de silence, de régularité et de célérité que je l’ai jamais vu faire sur aucun de nos vaisseaux.

« Après la manœuvre nous fîmes voile pour Cronstadt, où nous arrivâmes le soir même. L’empereur, malgré les fatigues qu’il venait d’essuyer pendant trois ou quatre jours d’un temps constamment mauvais, inspecta aussitôt les fortifications de la place, et invita lord Durham à l’accompagner.

« Pour me tranquilliser comme marin, ajoute M. Craufurd, pour confirmer l’opinion que j’ai de la supériorité navale de l’Angleterre sur toutes les autres nations, je pensai que la corvette où j’avais reçu l’hospitalité avait été choisie entre toutes les autres parce que sa discipline était meilleure, parce qu’elle était mieux tenue à tous égards. Le capitaine et la plus grande partie de son équipage naviguaient ensemble depuis long-temps. Il les connaissait chacun comme chacun le connaissait. Il était facile et peu exigeant, excepté sur le chapitre de la discipline où il était inflexible. Je n’ai jamais vu une troupe de meilleure volonté, plus active, plus strictement obéissante.

« Si tous les bâtimens de la flotte russe étaient aussi bien tenus que celui-là, sans doute, nous aurions fort à faire dans une guerre contre la Russie. J’admets qu’il n’en est pas ainsi, mais quand je compare l’état actuel de ces navires à ce qu’ils étaient il y a quelques années à peine ; quand je me rappelle d’un autre côté combien peu nous avons fait depuis la même époque, je trouve qu’ils ont gagné trop de chemin sur nous pour que nous ayons le droit de les mépriser.