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même avait gardé le silence, et cependant le reproche tacite que Speckbaker avait lu dans l’œil de son ami, était si cruel et peut-être si mérité, que, saisi d’une grande honte et de poignans remords, ce chef résolut de ne pas aller plus loin. À la première maison de poste, il quitta secrètement le char ; deux heures après il rejoignait Hofer, qui le recevait à bras ouverts et pleurant de joie.

Haspinger le capucin, de son côté, s’était retiré dans son cloître ; il en sortit après quelque hésitation et vint rejoindre ses amis. Kenmater, Schenk et Mayer, trois des chefs les plus influens du Brenner et des districts de l’Eisach, se rendirent aussi au camp. On tint conseil. On se décida à combattre et à ne pas abandonner le Tyrol tant que la résistance serait possible. Dès le lendemain de ce conseil, les hostilités recommencèrent avec plus de furie que jamais, et du 4 au 11 d’août, dans cette semaine qu’ils ont appelée la mémorable semaine, quand tout paraissait perdu, les Tyroliens, livrés à eux-mêmes, déployèrent une constance et une bravoure qu’on ne saurait trop admirer.

Hofer, à la sortie du conseil, s’était rendu dans le Passeyer-Thal pour hâter la levée en masse de sa vallée et des districts de Meran ; Hofer, l’apôtre plutôt que le général de l’insurrection, Hofer plus propre à rendre un oracle qu’à donner un ordre, et, quoique brave, bien inférieur en talens militaires et en ressources, à ses compagnons Speckbaker et Haspinger.

Ces deux derniers chefs, établis sur la route du Tyrol méridional, au pied du Brenner et à l’entrée de la gorge affreuse qui, en avant de la petite ville de Sterzing, s’étend de Stilfes à Mittewald, devaient tenir tête à l’ennemi établi à Sterzing, le chasser de cette ville, s’il était possible, et lui couper, à tout prix, la route des districts tyroliens du midi, les seuls que l’invasion n’eût pas encore entamés.

De Stilfes à Mauls, la route, tracée au fond d’un précipice et coupée par des torrens qu’elle traverse sur plusieurs points, longe l’Eisach dans lequel ces torrens se précipitent. De hautes montagnes, dont les têtes granitiques s’élèvent presque à pic, dominent cette route de tous côtés. Les pentes les moins inclinées sont couvertes d’immenses forêts de sapins gigantesques qui croissent, comme par miracle, entre de gros quartiers de granit bleu et blanc, presque tous de forme cubique. Les montagnards avaient coupé ou barricadé ces ponts, abattu ces arbres énormes, et roulé sur leurs troncs amoncelés, que des cordes tenaient suspendus vers le haut des montagnes, ces blocs de granit et des débris de toute espèce. Ainsi préparés, ils attendaient.

Le 3 août, quelques escarmouches avaient eu lieu à l’entrée du défilé du côté de Sterzing. Le 4, au point du jour, les cloches d’alarme de tous les villages de la montagne annoncèrent l’approche de l’armée ennemie. En effet, un corps franco-saxon, sorti de Sterzing, se portait sur le premier pont à l’entrée du défilé. Les Tyroliens attendaient de pied ferme, et bientôt