Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/319

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
315
EMMELINE.

petit tabouret en tapisserie qui était un chef-d’œuvre ; enfin, quand tout fut décidément achevé, quand il n’y eut plus moyen de rien inventer, elle se trouva seule, un soir, dans son coin chéri, en face du Don Juan de Mozart. Elle ne regardait ni la salle ni le théâtre ; elle éprouvait une impatience irrésistible ; Rubini, Mme Heinefetter et Mlle Sontag chantaient le trio des masques, que le public leur fit répéter. Perdue dans sa rêverie, Emmeline écoutait de toute son ame ; elle s’aperçut, en revenant à elle, qu’elle avait étendu le bras sur une chaise vide à ses côtés, et qu’elle serrait fortement son mouchoir à défaut d’une main amie. Elle ne se demanda pas pourquoi M. de Marsan n’était-pas là, mais elle se demanda pourquoi elle y était seule, et cette réflexion la troubla.

Elle trouva en rentrant son mari dans le salon, jouant aux échecs avec un de ses amis. Elle s’assit à quelque distance, et, presque malgré elle, regarda le comte. Elle suivait les mouvemens de cette noble figure, qu’elle avait vue si belle à dix-huit ans lorsqu’il s’était jeté au devant de son cheval. M. de Marsan perdait, et ses sourcils froncés ne lui prêtaient pas une expression gracieuse. Il sourit tout à coup ; la fortune tournait de son côté, et ses yeux brillèrent.

— Vous aimez donc beaucoup ce jeu ? demanda Emmeline en souriant.

– Comme la musique, pour passer le temps, répondit le comte ; et il continua sans regarder sa femme.

Passer le temps ! se répéta tout bas Mme de Marsan, dans sa chambre, au moment de se mettre au lit. Ce mot l’empêchait de dormir : il est beau, il est brave, se disait-elle, il m’aime. Cependant son cœur battait avec violence, elle écoutait le bruit de la pendule, et la vibration monotone du balancier lui était insupportable ; elle se leva pour l’arrêter. Que fais-je ? se demanda-t-elle ; arrêterai-je l’heure et le temps, en forçant cette petite horloge à se taire ?

Les yeux fixés sur la pendule, elle se livra à des pensées qui ne lui étaient pas encore venues. Elle songea au passé, à l’avenir, à la rapidité de la vie ; elle se demanda pourquoi nous sommes sur terre, ce que nous y faisons, ce qui nous attend après. En cherchant dans son cœur, elle n’y trouva qu’un jour où elle eût vécu, celui où elle avait senti qu’elle aimait. Le reste lui sembla un rêve confus, une succession de journées uniformes comme le mouvement du balancier. Elle posa sa main sur son front, et sentit un besoin invincible de vivre ; dirai-je de souffrir ? peut-être. Elle eût préféré en cet instant la souffrance à sa tristesse. Elle se dit qu’à tout prix elle voulait changer son existence. Elle fit cent projets de voyage, et aucun pays ne