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EMMELINE.

que je connaisse, à la veille de la seule faute qu’elle ait jamais eue à se reprocher ?

Elle pensait à sa beauté. Amour, dévouement, sincérité du cœur, constance, sympathie de goût, crainte, dangers, repentir, tout était chassé, tout était détruit par la plus vive inquiétude sur ses charmes, sur sa beauté corporelle. La lueur que nous apercevons, c’est celle d’un flambeau qu’elle tient à la main. Sa psyché est en face d’elle ; elle se retourne, écoute ; nul témoin, nul bruit ; elle a entr’ouvert le voile qui la couvre, et comme Vénus devant le berger de la fable, elle comparaît timidement.

Pour vous parler du jour suivant, je ne puis mieux faire, madame, que de vous transcrire une lettre d’Emmeline à sa sœur, où elle peint elle-même ce qu’elle éprouvait :

« J’étais à lui. À toutes mes anxiétés avait succédé un abattement extrême. J’étais brisée, et ce malaise me plaisait. Je passai la soirée en rêverie ; je voyais des formes vagues, j’entendais des voix lointaines ; je distinguais : « Mon ange, ma vie ! » et je m’affaissais encore, plus encore. Pas une fois ma pensée ne s’est reportée sur les inquiétudes du jour précédent, durant cette demi-léthargie qui me reste en mémoire comme l’état que je choisirai en paradis. Je me couchai et dormis comme un nouveau-né. Au réveil, le matin, un souvenir confus des évènemens de la veille fit rapidement porter le sang au cœur. Une palpitation me fit dresser sur mon séant, et là je m’entendis m’écrier à haute voix : C’en est fait ! J’appuyai ma tête sur mes genoux, et je me précipitai au fond de mon ame. Pour la première fois, il me vint la crainte qu’il ne m’eût mal jugée. La simplicité avec laquelle j’avais cédé pouvait lui donner cette opinion. En dépit de son esprit, de son tact, je pouvais craindre une mauvaise expérience du monde. Si ce n’était pour lui qu’une fantaisie, une difficulté à vaincre ? Trop étonnée, trop émue, bouleversée par tous les sentimens qui me subjuguaient, je n’avais pas assez étudié les siens. J’avais peur, je respirais court. Eh bien ! me dis-je bravement, le jour où il me connaîtra, il aura un arriéré à payer. Tout ce sombre fut éclairé tout à coup par de doux souvenirs. Je sentais un sourire errer autour de ma bouche ; comme la veille, je revis toute sa figure, belle d’une expression que je n’ai vue nulle part, même dans les chefs-d’œuvre des grands maîtres : j’y lisais l’amour, le respect, le culte, et ce doute, cette crainte de ne pas obtenir, tant on désire vivement. Voilà pour la femme l’instant suprême, et ainsi bercée, je m’habillai. On a grand plaisir à la toilette quand on attend son amant. »