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vii.

Emmeline avait mis cinq ans à s’apercevoir que son premier choix ne pouvait la rendre heureuse ; elle en avait souffert pendant un an ; elle avait lutté six mois contre une passion naissante, deux mois contre un amour avoué ; elle avait enfin succombé, et son bonheur dura quinze jours.

Quinze jours, c’est bien court, n’est-ce pas ? J’ai commencé ce conte sans y réfléchir, et je vois qu’arrivé au moment dont la pensée m’a fait prendre la plume, je n’ai rien à en dire, sinon qu’il fut bien court. Comment tenterai-je de vous le peindre ? Vous raconterai-je ce qui est inexprimable et ce que les plus grands génies de la terre ont laissé deviner dans leurs ouvrages, faute d’une parole qui pût le rendre ? Certes, vous ne vous y attendez pas, et je ne commettrai pas ce sacrilége. Ce qui vient du cœur peut s’écrire, mais non ce qui est le cœur lui-même.

D’ailleurs, en quinze jours, si on est heureux, a-t-on le temps de s’en apercevoir ? Emmeline et Gilbert étaient encore étonnés de leur bonheur ; ils n’osaient y croire, et s’émerveillaient de la vive tendresse dont leur cœur était plein. Est-il possible, se demandaient-ils, que nos regards se soient jamais rencontrés avec indifférence, et que nos mains se soient touchées froidement ? Quoi ! je t’ai regardé, disait Emmeline, sans que mes yeux se soient voilés de larmes ? Je t’ai écouté sans baiser tes lèvres ? Tu m’as parlé comme à tout le monde, et je t’ai répondu sans te dire que je t’aimais ? – Non, répondait Gilbert, ton regard, ta voix, te trahissaient ; grand Dieu ! comme ils me pénétraient ! C’est moi que la crainte a arrêté, et qui suis cause que nous nous aimons si tard. — Alors ils se serraient la main, comme pour se dire tacitement : Calmons-nous, il y a de quoi en mourir.

À peine avaient-ils commencé à s’habituer de se voir en secret, et à jouir des frayeurs du mystère ; à peine Gilbert connaissait-il ce nouveau visage que prend tout à coup une femme en tombant dans les bras de son amant ; à peine les premiers sourires avaient-ils paru à travers les larmes d’Emmeline ; à peine s’étaient-ils juré de s’aimer toujours ; pauvres enfans ! confians dans leur sort, ils s’y abandonnaient sans crainte, et savouraient lentement le plaisir de reconnaître qu’ils ne s’étaient pas trompés dans leur mutuelle espérance ; ils en