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couronne, on voit des amis qui se retrouvent et qui s’embrassent : divine et touchante espérance ! Au-dessous de ce groupe, Michel-Ange a personnifié les péchés capitaux et leur inflige à chacun une espèce de supplice analogue à la nature du péché. L’une de ces représentations est d’une crudité et en même temps d’une simplicité qui doit effaroucher la susceptibilité de notre siècle hypocrite, mais que les Italiens du xvie siècle ont trouvée à sa place dans un pareil tableau et dans une église. J’en dirai autant de l’espèce de punition que Michel-Ange a jugé à propos d’infliger à un de ses ennemis qu’il place dans l’enfer à côté de la figure d’Ugolin.

Au sommet de la composition, dans deux espaces arrondis séparés par un ornement d’architecture, on voit des anges dans des postures diverses qui portent en triomphe les instrumens de la passion, ces gages du salut pour les ames fidèles, condamnation éternelle des ames perverses pour qui le sang du Christ a été répandu en vain. On pourrait y critiquer plus qu’ailleurs une grande recherche dans les poses et quelques gestes contournés à l’excès, si quelque chose pouvait avec raison être critiquée dans une œuvre où la fermeté du style est si imposante et si continue, qu’il semble que le tableau entier ait été peint à la fois et sous l’inspiration la plus soudaine[1].

Qui croirait, si l’histoire ne nous l’apprenait, que cet ouvrage si plein de hardiesse dans la conception et d’une exécution si virile, est l’ouvrage d’un vieillard ? Michel-Ange avait passé soixante ans quand il entreprit cet immense travail. La diversité de ses travaux, jointe aux contrariétés qu’il rencontra dans leur exécution, fut cause qu’il ne mit pas moins de sept ou huit ans pour l’achever ; ce qui rend encore plus surprenante l’unité qu’on voit régner dans toutes ses parties, dont aucune ne trahit l’effort ou la fatigue.

Tel est l’étonnant ouvrage que nos yeux ont vu sans passion. Beaucoup d’artistes ont prétendu que la copie ne rendait qu’imparfaitement l’effet de l’original. Je suis loin de penser qu’elle soit en effet la reproduction exacte de tant de beautés. Je regarde même un pareil résultat comme tout-à-fait impossible. Outre la difficulté de s’identifier avec la manière libre et vigoureuse d’un peintre dont

  1. Ceux des lecteurs qui désireraient connaître la plus magnifique description qu’on ait faite du Jugement dernier, et auprès de laquelle tout ce qu’on vient de lire n’est qu’une bien faible indication des inventions prodigieuses de Michel-Ange, le trouveront dans l’Histoire de la peinture en Italie, de M. de Stendhal. C’est un morceau de génie, l’un des plus poétiques et des plus frappans que j’aie lus. Je recommande également, parmi beaucoup d’autres passages si remarquables, le chapitre consacré à l’examen de la Cène de Léonard de Vinci.