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POLITIQUE D’ARISTOTE.

monumens sacrés des Cypselides, le temple de Jupiter Olympien par les Pisistratides et les ouvrages de Polycrate à Samos. La guerre est aussi un moyen d’occuper l’activité des sujets, et leur impose le besoin constant d’un chef militaire. La défiance des citoyens entre eux, leur affaiblissement, leur dégradation, voilà la politique de la tyrannie.

Le tyran peut, pour affermir son pouvoir, s’attacher à se conduire comme un véritable roi. Cette hypocrisie peut le faire durer. Qu’il embellisse la ville, comme s’il en était l’inspecteur, et non le maître ; qu’il affiche une piété exemplaire ; qu’il porte une justice extrême dans la distribution des récompenses ; qu’il évite d’allumer de graves ressentimens ; qu’il recherche dans toute sa conduite la modération ; qu’il se montre enfin complètement vertueux, ou du moins vertueux à demi, et qu’il ne se montre jamais vicieux, ou du moins jamais autant qu’on peut l’être. La plus longue des tyrannies fut celle d’Orthagoras et de ses descendans à Sycione ; elle dura cent ans. Vient en second lieu celle des Cypselides à Corinthe ; elle dura soixante-treize ans et six mois ; puis celle des Pisistratides à Athènes, mais elle eut des intervalles. Il faut mentionner, enfin, les tyrannies d’Hiéron et de Gelon à Syracuse.

Comment, après cette magnifique théorie des révolutions, Aristote aurait-il pu se refuser au plaisir d’accabler Platon de sa supériorité ? Il oppose, au grand tableau politique qu’il vient de présenter, la stérile obscurité du système des nombres, qui est pour Platon la clé des révolutions, et il semble se plaire à faire de la faiblesse de son rival le couronnement de son œuvre.

Au reste, l’orgueil pouvait être permis à Aristote quand son stylet eut tracé les derniers mots de la Politique. Il s’était élevé, par la pensée, au sommet des choses humaines et de l’histoire connue jusqu’à lui ; il avait fait passer sous ses yeux les institutions et les hommes qui avaient acquis quelque notoriété depuis l’établissement des sociétés. Le monde moral lui était familier, comme le monde naturel, et il avait mis les trésors de son génie sous la garde d’une incorruptible justice. Aristote ne dépend de personne, ni du peuple d’Athènes, ni du roi de Macédoine. Il n’est, à vrai dire, dans les liens politiques ni de la démocratie, ni de la monarchie. Sa naissance, les circonstances de sa vie, l’ont affranchi le plus possible de tout engagement et de tout préjugé. Il a noblement usé de cette liberté précieuse ; il a dit la vérité à tout le monde, aux peuples comme aux rois, et n’a pas plus épargné le tyran que le démagogue. Il n’a