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pas flatté la multitude ; mais il a mis en lumière les avantages et les droits de la démocratie. Il est juste envers la royauté, comme envers la supériorité du génie, et en même temps il reconnaît le bon sens populaire. Quels désirs, quelles passions pourraient ternir l’intégrité de ses jugemens ? Il est heureux par la pensée, qu’il reconnaît seule pour maîtresse, pour guide, pour divinité. Il vit dans la vérité des choses, il écrit sous la loi de sa raison, et il ne s’informe pas si Athènes le trouve trop monarchique et le Macédonien trop démocrate.

Avec cette inaltérable probité dans la force et le talent, on bâtit pour l’éternité. Le livre d’Aristote est actuel encore aujourd’hui, et on peut en partager les fragmens aux nations modernes pour leur servir de leçons vivantes. Aristote, qui, dans sa Politique même, a fait la distinction de la raison pratique et de la raison spéculative, est pratique par excellence, parce qu’il est théorique avec supériorité. Il est réel, il est impartial ; il écrit pour tous. Il n’a pas les entêtemens aristocratiques de Platon ; il n’a pas dit : Dieu verse l’or, non point tantôt dans l’ame des uns, tantôt dans l’ame des autres, mais toujours dans les mêmes ames. Non, il croit à la puissance de l’intelligence répandue par l’éducation dans tous les esprits et dans toutes les classes, et nous pouvons convier à sa lecture riches et pauvres, faibles et puissans, peuples et rois.

En l’étudiant, nous nous demandions pourquoi un si grand livre ne serait pas répandu dans les rangs populaires. On a dit que l’avenir était incorruptible ; la sagesse du passé n’a pas moins d’intégrité. En lisant les conseils parfois sévères des sages et des politiques de la Grèce et de Rome, le peuple élèverait son ame et mûrirait sa raison. À notre sens, il serait possible de rédiger un Aristote populaire, où les observations et les théories du penseur seraient mises dans un ordre simple et clair, et dégagées de ce que le raisonnement grec a parfois d’un peu subtil et d’un peu sophistique. On pourrait agir de même avec d’autres hommes des temps antiques, avec Tacite, avec Sénèque. De cette façon, le génie de tous les temps servirait de nourriture à tous les hommes. Sans doute, ou ne saurait accorder trop d’estime aux écrivains consciencieux et modestes qui appliquent leurs efforts à l’instruction du peuple ; mais pourquoi ne pas leur donner pour associés les grands hommes de l’antiquité ? Au théâtre, dans nos musées, nous convions le peuple à l’admiration de Shakspeare, de Corneille, de Vélasquez et de Michel-Ange ; pourquoi donc ne pas lui composer une bibliothèque avec Hérodote, Homère, Aristote, Cicéron, Tacite, Plutarque, Sénèque et Marc-Aurèle ? Là,