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daignez me permettre de vous montrer les cartons des maîtres, vous nous accorderez peut-être le mérite d’avoir, sinon créé, du moins compris nos modèles avec quelque intelligence.

— Je le veux, dit Tintoret, je veux que mes cartons de l’Apocalypse fassent preuve du talent de peintre qui distingue Francesco et Valerio Zuccato de tous les artistes de leur classe.

Plusieurs modèles furent exhibés, et Sébastien put se convaincre de la science avec laquelle les Zuccati travaillaient en maîtres d’après les maîtres, traçaient eux-mêmes le dessin élégant et pur de leurs sujets, et créaient leur merveilleuse couleur, d’après la simple indication du peintre. Valerio, après s’être un peu fait prier par son frère, avoua même qu’il était l’auteur de plusieurs figurines, et, à son tour, dévoilant le secret de Francesco, il indiqua à son père deux beaux archanges volant l’un vers l’autre ; l’un, enveloppé d’une draperie verte, était son propre ouvrage ; l’autre, vêtu de bleu turquin, était l’ouvrage de Francesco, composé et exécuté de même sans l’aide d’aucun peintre.

Zuccato se laissa conduire vers ces figures qui étaient réellement aussi belles qu’aucune de celles dont le modèle avait été fourni. Francesco avait donné à son jeune archange les traits de son frère Valerio, et réciproquement, l’archange de Valerio était le portrait de Francesco. Ils avaient employé des compartimens d’une finesse extrême pour exécuter cette œuvre chérie et l’avaient placée modestement dans un angle obscur, où les regards de la foule ne pouvaient atteindre. Le vieux Zuccato resta long-temps immobile et muet devant ce couple ailé, et confus de voir l’erreur orgueilleuse de toute sa vie si glorieusement réfutée, il fut pris d’un terrible accès d’humeur. Il descendit l’échelle et reprit son manteau des mains de Valerio avec beaucoup de sécheresse, sans daigner lui adresser un mot d’encouragement, non plus qu’à son frère, et saluant à peine le Tintoret, il franchit, d’un pas plus ferme qu’on ne s’y serait attendu de sa part, le seuil de la basilique. Mais il n’eut pas descendu la première marche, que, cédant au besoin impérieux de son ame, il se retourna, et, ouvrant ses bras à ses deux fils qui s’y précipitèrent, il les pressa long-temps contre sa poitrine en arrosant de larmes leurs belles chevelures.

iii.

— Allons, vive la joie ! par le corps du diable ! l’ouvrage avance ! Ici, du mastic ! petit singe noir ! Maso ! m’entendez-vous ?… Vincent,