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de Gustave et de mort, c’est là un songe officiel de roman, c’est de la fable sentimentale toute pure, couleur de 1803. Heureusement, le vrai de la situation de Gustave se retrouve bientôt. Un des endroits le mieux touchés est celui où Valérie en gondole, légèrement effrayée, et qui vient de mettre familièrement sur son cœur la main de Gustave, au moindre effroi sérieux, se précipite sur le sein du comte : « Oh ! que je sentis bien alors tout mon néant, et tout ce qui nous séparait. » Lorsque Gustave s’en est allé seul avec sa blessure dans les montagnes, quand, durant les mois d’automne qui précèdent sa mort, il s’enivre éperduement de sa rêverie et des brises sauvages, quand il devient presque René, comme il s’en distingue aussitôt et reste lui-même encore, par cette image gracieuse de l’amandier auquel il se compare, de l’amandier exilé au milieu d’une nature trop forte, et qui, pourtant, a donné des fleurs que le vent disperse au précipice ! Comme on retrouve là cette frêle et tendre adolescence jetée au bord de l’abîme, cette nature d’ame aimable, mystique, ossianesque, parente de Swedenbourg, amante du sacrifice, ce jeune homme qui, comme René, a dépassé son âge, qui n’en a su avoir ni l’esprit, ni le bonheur, ni les défauts, mais que le comte, d’une voix moins austère que le père Aubry pour Chactas, conviait seulement à ces douces affections qui sont les graces de la vie, et qui fondent ensemble notre sensibilité et nos vertus !… Gustave qui, à certains momens de sa solitude enthousiaste, se rapproche aussi de Werther ; qui égale même cette voix éloquente et poétique, en cette espèce d’hymne où il s’écrie : « Je me promène dans ces montagnes parfumées par la lavande, etc., etc., » Gustave s’en distingue encore à temps et demeure lui-même, rejetant l’idée de se frapper, pieux, innocent et pur jusque dans son égarement, rendant graces jusque dans son désespoir. En un mot, Gustave réussit véritablement à laisser dans l’ame du lecteur, comme dans celle de Valérie, ce qu’il ambitionne le plus, quelques larmes seulement, et un de ces souvenirs qui durent toute la vie, et qui honorent ceux qui sont capables de les avoir.

M. Marmier, qui a écrit sur Mme de Krüdner un morceau senti[1], a très bien remarqué dans Valérie nombre de pensées déjà profondes et religieuses, qui font entrevoir la femme d’avenir sous le voile des premières élégances. J’en veux citer aussi quelques traits qui sont des présages.

  1. Revue germanique, juillet 1833.