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HOMMES D’ÉTAT DE LA GRANDE-BRETAGNE.

bert Peel dont on pût dire qu’il paraît n’avoir aucun ami véritable, aucun ami qui possède sa confiance intime. Il reçoit l’hommage et les applaudissemens de son parti avec un air de cordialité forcée, et les avances de ceux qui cherchent à l’approcher de plus près avec une réserve glaciale ; c’est pourquoi il est généralement accusé de ces petitesses qui accompagnent fréquemment la réserve du caractère, mais sans fondement, j’imagine, dans le plus grand nombre de cas. Ses ennemis l’appellent avare, sans autre cause apparente que l’ordre avec lequel il sait dépenser une fortune de prince, et qui s’appelle dédaigneusement parcimonie parmi les hommes d’une vie irrégulière. Il aime le luxe et même la magnificence dans quelques objets, particulièrement dans sa splendide galerie de tableaux dont il est justement fier ; il est généreux dans les encouragemens qu’il accorde aux artistes anglais de tout genre. Mais c’est là une de ces bonnes qualités qui, dans un chef de parti, désireux de popularité, sont susceptibles d’une double interprétation. Il est personnellement actif, énergique ; il aime les plaisirs de la campagne, les exercices violens, et conserve une constitution robuste au milieu de fatigues peu communes. Il entend la vie domestique à l’anglaise. La plus grande partie du temps qu’il dérobe à ses fonctions publiques, il le passe au sein de sa famille ou de l’étude, car il est, ce qui arrive rarement aux hommes qui ont éprouvé pendant long-temps l’excitation de la vie publique, animé d’une affection sincère pour les occupations littéraires.

Quant à son histoire domestique et privée, elle est absolument nulle. À peine homme, il est monté sur un théâtre dont on ne l’a pas vu descendre, où il se plaît, dont les émotions, les travaux, les rôles divers ne lui ont pas laissé une nuit de repos. La vie politique a été son unique occupation, et les affaires publiques ont presque tout absorbé chez lui. Membre du parlement à vingt-deux ans, ministre et investi d’une haute responsabilité (secrétaire pour l’Irlande) à vingt-quatre, il a été bien rarement, depuis vingt-cinq ans, étranger au maniement officiel des affaires, et n’a jamais perdu de vue l’arène parlementaire. Toute sa vie est une longue campagne, et chacune de ses nuits une bataille livrée sur le parquet de la chambre des communes. Il a débuté avec le double avantage d’une puissante mémoire et d’une intelligence mûrie de bonne heure ; mais il ne s’est pas lancé du premier coup dans la lice, armé jusqu’aux dents ; c’est peu à peu seulement qu’il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Ses facultés administratives sont de l’ordre le plus élevé ; il a une