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HOMMES D’ÉTAT DE LA GRANDE-BRETAGNE.

même pas toujours l’avantage de faire illusion à ceux auxquels on les adresse. Sir Robert Peel ne dit jamais que ce qu’il veut dire, et pour un homme d’état c’est une grande faculté. Quand il donne un programme au commencement d’une session, c’est, aux yeux des Anglais, une des plus importantes communications politiques de l’année, et il est aussitôt adopté par la conviction universelle.

Mais les qualités de sir Robert Peel, comme homme d’état, seront mieux comprises quand nous serons entrés dans le détail de sa vie politique. Et d’abord disons quelques mots de ses talens oratoires. Personne, sous ce rapport, n’a fait un progrès aussi extraordinaire dans l’opinion publique depuis sa première entrée dans la carrière. À cette époque et même plusieurs années après, il était connu et apprécié comme traitant en homme instruit les matières pratiques ; on le regardait comme un orateur bien préparé pour la discussion, utile, bien informé, et choisissant avec intelligence les sujets qu’il voulait traiter ; mais on ne peut pas dire que ses talens, dans l’opinion des juges impartiaux, fussent alors placés très haut, et il est hors de doute que sa réputation souffrit alors beaucoup du zèle indiscret de ses partisans. De 1822 à 1827, quand tous les talens et tout le jeune enthousiasme du pays étaient enrôlés dans la cause des catholiques ; quand Canning et Brougham, divisés d’opinion sur toutes les autres questions, réunissaient toutes leurs forces sur celle-là, et terrassaient des rangs entiers d’ennemis avec leur esprit et leurs sarcasmes, Peel était presque le seul homme remarquable de la chambre des communes que le parti contraire pût leur opposer ; et il avait la prétention d’établir entre Canning et lui une comparaison que ce dernier n’était pas alors capable de soutenir. Canning, plus âgé que Peel de plusieurs années, et plus ancien aussi dans la vie politique, avait tout le feu, toute l’imprudence de la jeunesse ; Peel, la froideur, la prudence, le positif de l’âge mûr. Canning était prodigue de son éloquence et de sa verve ; s’exposant dans chaque combat, insoucieux de son salut et presque de sa réputation ; s’aliénant quelquefois ses amis par une raillerie inopportune, quelquefois poussant à la colère un ennemi par son sarcasme, mais réunissant toujours autour de lui le cercle entier des jeunes et des ardens, aristocrates et libéraux, dont l’enthousiasme s’allumait à la flamme de son brûlant foyer. Peel, à cette époque, se livrait rarement à des mouvemens d’éloquence ; il répondait à l’esprit, à l’invective, au sarcasme, toujours avec le même déploiement spécieux, mais froid, d’argumens sophistiques. Il ne s’aventurait jamais au-delà de ses forces, il ne se compromet-