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compagnons de voyage et le ministre en firent autant ; et précédés et suivis des insulaires les plus jeunes, les plus vigoureux et les plus déterminés chasseurs de Hirta, nous grimpâmes processionnellement à travers les roches jusqu’aux pentes les plus élevées du Conachan, le géant de l’île. Là, nous fîmes halte.

Le soleil était levé, mais il n’avait pas encore fait sa barbe, selon l’expression d’un poète du pays, car Hirta a eu son poète ; en effet, la moitié de son disque plongeait encore dans la mer, dont les vagues agitées et écumantes ne figuraient pas mal la mousse de savon.

— Si nous déjeunions, dit sir Thomas en se laissant glisser d’un côté de son poney, ni plus ni moins légèrement que n’eût fait un chargement de tourbe ; l’air de ces montagnes est d’une vivacité qui rendrait l’homme anthropophage, mes dents semblent prêtes à rompre leur ban et à s’échapper de mes gencives, tant elles s’allongent, tant elles sont impatientes de fonctionner. Déjeunons.

La motion était opportune, elle fut adoptée à l’unanimité. Des œufs de gannets, que nos insulaires trouvaient d’autant plus délicats, que le jeune gannet (solan goose) qui les remplissait était plus voisin de l’époque où il aurait brisé sa coquille avec le bec, et dont, — on le croira aisément, — nous ne goûtâmes pas ; des viandes salées et fumées, du poisson frais, une moitié de mouton de Hirta, auquel nous fîmes honneur et qui justifiait sa réputation de délicatesse, composaient notre menu de la matinée. Le tout fut arrosé d’eau claire par les indigènes, et par nous de quelques bouteilles de sherry et de porto, que sir Thomas avait attachées au cou de nos poneys en guise de fontes de pistolets. Quand tout eut été consommé, que le dernier gannet cuit avant d’être né et la dernière côtelette de mouton hirtain eurent disparu : — À l’ouvrage maintenant, s’écria sir Thomas d’une voix à laquelle la plénitude de son estomac donnait la vibration retentissante du cor.

— À l’ouvrage ! et il s’assit tranquillement au bord du rocher, comme un homme qui veut, non pas travailler, mais voir travailler les autres. Je l’imitai, car je tenais autant que lui à mon cou, et, avant de me mettre de la partie, je voulais voir comment on la jouait. Je plaçai toutefois deux ou trois fusils à côté de moi. Je préparai mes munitions de guerre, quoique je susse que la poudre et le plomb n’entraient guère comme élément nécessaire dans la manière de chasser des habitans de Hirta. Cependant c’étaient des oiseaux que nos insulaires se proposaient de prendre, ils ne pouvaient le faire ni à la course ni au vol ; comment donc allaient-ils procéder ?

Tandis que je me creusais la tête, je vis nos hommes dérouler lestement de longues et fortes courroies dont deux poneys, qui marchaient à la queue de la caravane, étaient chargés. Ces courroies pouvaient avoir une cinquantaine de pieds de longueur. En les examinant avec attention, je vis qu’elles étaient formées de trois lanières de peaux de vache salées, tressées, ou plutôt tordues fortement, et recouvertes, dans toute leur longueur, d’une sorte d’étui, en peau de mouton, qui augmentait leur volume, sans cependant