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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

diminuer en rien leur souplesse. J’avais peine à m’expliquer l’usage de cette sorte de gaine ; plus tard, j’en compris l’utilité.

Quand plusieurs de ces courroies furent déroulées sur le gazon, nos hommes se divisèrent par couples. Chaque couple prit une courroie, et en essaya la force, qui était extraordinaire ; ces courroies, ainsi tressées, peuvent, en effet, porter des poids énormes. Chaque individu de chaque couple s’attacha ensuite par le milieu du corps à l’extrémité de chaque courroie, de façon à ce que les bras et les jambes restassent parfaitement libres.

Les premiers prêts s’avancèrent en courant au bord de l’abîme, à l’endroit où le Conachan tombait à pic dans la mer, dont l’écume blanchissait sa base à quatorze cents pieds au-dessous de nous. Je me couchai à plat ventre au bord du précipice pour suivre les mouvemens de nos intrépides chasseurs, et je remarquai, en effet, que le bruit des vagues, qui semblaient se déchaîner avec fureur au fond du gouffre, ne parvenait pas à mon oreille, tant sa profondeur était grande. Dans ce moment, l’un des chasseurs s’établit solidement sur la plate-forme du rocher, se cramponnant dans ses interstices avec les pieds et les mains ; l’autre se laissa glisser, ou plutôt tomber, le long de la muraille perpendiculaire du Conachan, en se cramponnant, de temps en temps, à ses saillies, mais le plus souvent se balançant dans le vide à l’extrémité de la corde. Bientôt les autres couples en firent autant, et une dizaine d’hommes furent suspendus le long de la paroi du roc, à plus de mille pieds au-dessus des flots.

Je sentis ma tête tourner, mes yeux voyaient double, les oreilles me tintaient horriblement, et j’éprouvais un indéfinissable malaise. Tous mes nerfs se tordaient comme si, moi aussi, j’eusse été suspendu dans le vide au bout de l’une de ces cordes, avec l’Océan au-dessous de moi, à une incommensurable profondeur. Éveillé, j’étais en proie à un horrible cauchemar ; la sensation devint même si pénible, que je criai à un de mes voisins de me retenir par les pieds, parce qu’il me semblait que le poids de ma tête m’entraînait dans le précipice.

Quant à nos chasseurs, ils paraissaient aussi joyeux au bout de leur corde qu’une jeune créole étendue dans un hamac, qui se balance au milieu d’un jardin, et aussi à leur aise que s’ils eussent eu, à deux ou trois pieds au-dessous d’eux, un moelleux tapis de gazon, au lieu de roches menaçantes et d’un abîme sans fond.

Je suivais toujours de l’œil, et autant que le cauchemar et l’étourdissement me le permettaient, les deux intrépides partners qui étaient descendus les premiers. Celui qui était suspendu sur les flots et qui ne ressemblait pas mal à une grenouille qui vient de mordre à l’hameçon d’un pêcheur à la ligne, et que celui-ci secoue avec impatience, avait jusqu’alors plutôt paru penser à se balancer, à se donner de la grace, et à faire des tours de force au bout de sa corde, qu’à chasser les solan goose et les gannets. Cependant, quand, tout en jouant, il eut bien examiné la roche et qu’il eut choisi sa place, il donna un violent mouvement de balancier à la corde. Ses