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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

dît descendit aussi intrépidement et avec autant de sang-froid, de confiance et d’adresse, que les plus vieux chasseurs de Hirta.

Cependant quand, vers la fin de l’automne, le steward du laird de Macleod vint dans la barque de son maître, la seule qu’on eût vue dans notre île depuis l’aventure de Power, chercher la petite cargaison de plumes dont, chaque année, nos bons habitans de Hirta font cadeau à ce laird, qui se dit leur seigneur, on fut étonné dans l’île que Power ne s’empressât pas de profiter de cette occasion pour retourner dans son pays, qu’il marquât de la répugnance pour ce voyage, et qu’il repoussât même, avec une vivacité singulière, la proposition que lui fit le steward du laird de le conduire à Long-Island, où il trouverait de fréquentes occasions pour se rendre sur le continent d’Écosse, et de là dans sa patrie.

— Je n’ai plus rien au monde, disait-il, et je ne regrette rien au monde. Mon état est perdu. Avec quoi vivrai-je en Irlande ? J’aime mieux vivre à Hirta, comme un colon, comme un indigène, puisque les habitans de Hirta ont bien voulu m’accueillir dans mon malheur, que de vivre dans mon pays comme mendiant.

Cette préférence que Power donnait à Hirta sur son pays, on ne savait trop comment se l’expliquer ; car Power ne tenait pas toujours un pareil langage. Avant l’arrivée du steward, il ne comparait jamais sa patrie d’adoption à sa véritable patrie, sans déprécier la première, sans exalter la seconde. À l’entendre, tout à Saint-Kilda était inférieur à ce qu’on voyait en Irlande, et nous le croyions aisément ; mais il se plaisait à le répéter à satiété à nos pauvres insulaires que ces discours mécontentaient, et qui se disaient quelquefois entre eux : Pourquoi l’étranger ne retourne-t-il donc pas dans son pays, si tout, dans son pays, est si magnifique ? Mais Power ne les écoutait pas et s’inquiétait peu de leur mécontentement. La contradiction rendait même son humeur plus âcre et ses discours plus mordans.

— Vos vaches de Hirta, leur disait-il en riant d’un air méprisant, ne sont guère plus grosses que nos chèvres d’Irlande ; nos agneaux qui viennent de naître sont plus forts que vos brebis et vos béliers, et vos chevaux ont à peine la taille de nos ânes. Quant au blé, il croît chez nous comme l’herbe chez vous, et cette orge dont vous faites votre pain et dont vous vantez tant l’excellence, nos fermiers la trouveraient à peine bonne pour engraisser leurs porcs ou pour nourrir leur volaille. Il n’y a chez vous qu’une seule chose que nous n’ayons pas en Irlande, dans la même abondance, ce sont les gannets ; mais en Irlande on mange autant d’œufs de poule qu’on mange ici d’œufs de gannet, et autant d’oies et de poules grasses que chez vous d’eider-ducks et de sea-fowls.

Tout en dénigrant ainsi les productions de notre pauvre île, Power n’en continuait pas moins à manger notre pain d’orge qui ne lui coûtait rien et nos gannets qui ne lui donnaient que la peine de les chasser, peine qui, pour lui comme pour nous, n’était qu’un plaisir. Du reste, comme Power était