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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

Harris ne se le fit pas dire deux fois, quoique le vent soufflât toujours avec rage. Quand il vit Power solidement établi sur la corniche qui dominait le poulailler, il se laissa doucement glisser le long du rocher, et bientôt il se trouva isolé de la haute muraille et complètement suspendu dans les airs, avec un précipice de plus de mille pieds de profondeur au-dessous de lui. La main de son compagnon le soutenait seule au-dessus de l’abîme ; la main seule de son compagnon pouvait l’en retirer. Harris, en effet, placé à une vingtaine de brasses au-dessous de Power, pouvait bien, en profitant des secousses que le vent donnait à la corde et du balancement qu’il lui imprimait, s’approcher du rocher et fouiller dans ses interstices et dans les trous et les lézardes que le temps y a faits, et où les oiseaux de mer déposent leurs nids ; mais comme ce rocher formait au-dessus de son corps une voûte à laquelle ses pieds avaient peine à toucher en même temps que ses mains, quelque effort qu’il fît en se couchant en arrière, Harris se trouvait dans la plus périlleuse et la plus effrayante des situations, et cependant il ne paraissait pas même songer au danger, confiant qu’il était dans la force d’Hercule et dans l’amitié de frère de son compagnon. Celui-ci paraissait examiner, avec une attention inquiète, chacun des mouvemens de son jeune camarade. Quand il le vit ainsi entièrement isolé du rocher, et qu’il lui sembla tout-à-fait impossible qu’il pût s’accrocher ou se retenir à aucune de ses aspérités : — Harris ! lui cria-t-il à travers la tempête, d’une voix qui domina le bruit du vent, Harris !… — Harris leva la tête avec inquiétude, et vit Power debout sur le bord du rocher, Power tout pâle et jetant sur lui des regards menaçans.

— Que veux-tu ? lui dit Harris.

— Harris, ta vie m’appartient.

— Comme la tienne m’appartenait tout à l’heure, comme elle m’appartiendra peut-être dans un moment.

— Harris, écoute-moi bien… Tu aimes Barra ?

— Oh ! oui… comme j’aime la chasse.

— Et tu es son fiancé ?

— Tu l’as dit.

— Eh bien ! moi aussi, je l’aime.

Harris pâlit, il commençait à comprendre son compagnon, sans toutefois pouvoir deviner ses projets.

— Je l’aime… je l’aime avec fureur. Je ne suis pas son fiancé, et je veux être son époux.

— Mais, frère, tu es fou… tu oublies la chasse… tu cries de façon à effaroucher toute la volaille du poulailler, et à faire fuir tous les gannets et les sea-fowls du Conachan.

— Au diable soient les gannets et les sea-fowls ! écoute et réponds-moi.

— Oui, mais tire un peu à toi la courroie ; je pourrai m’appuyer sur le bord du rocher, et je te répondrai plus à l’aise.