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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

mille étroite qui cherche dans la lecture plutôt l’étude que l’émotion ; or, la satire doit-elle s’interdire l’émotion ? Nous ne le pensons pas. Souvent il nous arrive de chercher dans la satire didactique un plaisir purement littéraire ; mais ce plaisir est de telle nature, que nous pouvons, à notre gré, le quitter, le reprendre, sans éprouver aucun regret. À ce signe nous reconnaissons que la satire didactique n’est pas la forme la plus élevée, la forme suprême de la satire.

Reste la satire lyrique, le mouvement de l’ode associé à la colère. À notre avis cette dernière forme est la plus belle, celle en même temps qui exige les plus riches facultés poétiques. La déclamation et l’ironie, maniées habilement, peuvent très bien se passer d’imagination ; mais l’ode impérieuse ne se contente pas à si peu de frais. Pour chanter la colère comme pour célébrer les vainqueurs des jeux olympiques, il faut plus que de la finesse, plus que de l’élégance, il faut de la force, de la grandeur ; à ces conditions seulement il est permis de tenter la satire lyrique. L’ode pure, celle qui se voue exclusivement à la peinture de l’enthousiasme en présence de la gloire ou de la beauté, plus élevée en apparence que la satire lyrique, présente peut-être une tâche plus facile. L’enthousiasme en effet, en détachant l’ame des choses de la terre, donne à toutes les paroles qui s’échappent de nos lèvres une ardeur, une sérénité qui, seules, forment déjà la meilleure partie de la poésie ; mais la satire lyrique, par la nature même de la mission qu’elle se propose, est incessamment ramenée vers la réalité. Pour se maintenir dans les régions poétiques, elle a besoin d’un perpétuel effort de volonté. Le poète qui veut concilier l’ode et la satire, ou plutôt exprimer la satire par l’ode, doit faire de sa vie intellectuelle deux parts bien distinctes, l’une pour l’étude, l’autre pour le chant. S’il veut chanter en même temps qu’il étudie, son chant devient vulgaire et descend peu à peu jusqu’à la prose. S’il a soin au contraire de se pénétrer profondément de la réalité avant de l’attaquer, il trouve, pour chanter sa colère, une multitude d’images obéissantes tout entier à la forme de sa pensée, il discipline la parole et la conduit aussi loin qu’il veut. Je sais très bien que cette division de la vie intellectuelle est d’une grande utilité dans tous les travaux d’imagination, je devrais dire dans tous les travaux de la pensée ; mais je crois que la satire lyrique a besoin, plus que l’ode elle-même, plus que l’élégie, de séparer l’impression de l’expression. Les difficultés que présente la satire lyrique s’effacent devant une intelligence où se trouvent réunies l’imagination et la sagacité. Quoique ces deux facultés ne soient pas