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habituées à vivre ensemble, elles sont loin de se contredire, et même rien ne serait plus aisé que de montrer comment et pourquoi toutes les imaginations vraiment fécondes sont alliées à une rare clairvoyance, comment l’invention et la raison s’enrichissent mutuellement. Les Iambes de M. Barbier appartiennent à la satire lyrique, et concilient très bien l’ode et la satire. J’ai souvent entendu reprocher, à la Curée, à l’Idole, l’exagération des images ; ce reproche serait parfaitement mérité, s’il s’agissait de la satire déclamée ou de la satire didactique ; mais, appliqué à la satire lyrique, il me semble dénué de justesse. Quant à l’exagération prise en elle-même, abstraction faite des images qui lui servent d’interprète, je crois fermement qu’elle est nécessaire dans la satire, comme dans la comédie, comme dans toutes les œuvres poétiques. Nier la nécessité de l’exagération, c’est nier les conditions mêmes de toute poésie, c’est nier la poésie même. Dans la peinture des souffrances ou dans l’élégie, le besoin d’exagération se fait sentir moins vivement ; mais ce besoin trouve satisfaction à l’insu même du poète. Tout entière à la douleur qu’elle tente d’exprimer, l’intelligence ne s’aperçoit pas que les objets grandissent sous son regard ; elle les représente tels qu’elle les voit, et ne sait pas qu’elle s’élève au-dessus de la réalité. Dans la comédie, l’exagération est d’une utilité plus évidente, mais non plus grande ; dans la satire qui se propose, non pas le ridicule, mais la flétrissure, l’exagération est d’une nécessité absolue. Le poète qui se plaint et qui veut exciter la sympathie, est entraîné malgré lui à dépasser la réalité ; le poète qui veut infliger le ridicule aux vices de son temps, est amené au même résultat, et il a conscience de ce qu’il fait. Quant au poète satirique, il méconnaîtrait son but s’il omettait de doubler, de tripler les proportions de ses modèles. Que veut-il, en effet ? Attirer tous les yeux sur les plaies qui dévorent la société, émouvoir toutes les prudences, réveiller toutes les ames endormies, en leur montrant dans chaque vice un ennemi à combattre. Or, pour atteindre ce but, le poète satirique doit imiter les acteurs du théâtre d’Athènes, qui plaçaient de chaque côté de la scène des vases retentissans, et qui parlaient sous un masque d’airain ; il doit exagérer sa pensée comme les acteurs grecs exagéraient leur voix, car il s’adresse à un auditoire aussi nombreux et moins attentif. Quand les yeux sont fixés sur la scène, l’intelligence n’est guère menacée de distraction ; mais le poète satirique, réduit au seul secours de la parole, risquerait de n’être pas entendu, s’il négligeait d’amplifier les proportions de sa pensée. Depuis Juvénal jusqu’à André Chénier, il est facile de véri-