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VOYAGE DU DUC DE RAGUSE.

peut appeler l’alliance de l’Occident. Aux premiers troubles qui auraient lieu à Constantinople, à la première crainte d’une entreprise des flottes de France et d’Angleterre, l’escadre russe franchit le Bosphore avec douze mille hommes de troupes de terre ; d’un autre côté, un corps de soixante mille hommes franchit le Danube et le Balkan et se place à Andrinople. Cependant à Paris et à Londres on délibère, on rédige des notes. L’empereur de Russie toutefois est trop sage pour songer à la possession prématurée de Constantinople, qui pourrait être funeste à la Russie méridionale en arrêtant le développement des richesses qui s’y créent aujourd’hui : la Russie ne pense maintenant qu’à s’assurer une libre navigation. Si les passages du Bosphore et de l’Hellespont avaient une ou deux lieues de largeur, peu de personnes à Saint-Pétersbourg songeraient à la conquête de Constantinople ; mais comme ces passages étroits sont des postes qui ferment toute une mer, il faut s’en assurer. Si les Russes s’emparaient des Dardanelles, l’Europe ne pourrait les reprendre. Le duc de Raguse trace, à ce sujet, le plan hypothétique d’une campagne, et s’attache à démontrer que l’avantage resterait au premier occupant. Il faut donc que l’Europe s’accoutume, dès à présent, à l’idée que la Russie doit posséder une influence décidée à Constantinople, qu’elle occupera cette ville quand elle le voudra ; que si elle le veut un jour, c’est qu’elle y sera forcée, mais qu’elle diffèrera autant qu’elle pourra le moment de cette conquête.

Le duc de Raguse, ayant mis à la voile pour les Dardanelles, passa en vue de la presqu’île de Sizique, dont le nom et l’histoire remontent à la tradition des Argonautes, et devant l’embouchure du Granique, de ce ruisseau devenu célèbre, parce qu’il fut le point de départ des triomphes d’Alexandre. Arrivé aux Dardanelles, il fit une course dans la plaine de Troie. Il se plut, avec Homère et l’ouvrage de Le Chevallier, à reconnaître tous les lieux décrits et marqués dans l’Iliade, le camp des Grecs, les tombeaux d’Achille et de Patrocle, les ruines du temple consacré à Minerve, le tombeau d’Antiloque, le Scamandre, le Simoïs, le lieu où s’élevaient les portes de Scées, par lesquelles sortaient les Troyens. Le voyageur alla ensuite évoquer d’autres souvenirs en visitant les ruines d’Alexandria-Troas, création d’Alexandre, et la plus grande, après Alexandrie d’Égypte, des dix-huit villes de ce nom que le Macédonien fit bâtir. Alexandria-Troas paraît avoir joui d’une grande splendeur ; elle fut fidèle aux Romains dans leur guerre contre Antiochus, et reçut les mêmes priviléges que les villes d’Italie. Il y a quarante ans, des ruines ma-