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VOYAGE DU DUC DE RAGUSE.

cha, le duc de Raguse lui parla sans détour et sans crainte de lui déplaire, combattant ses idées quand il ne pouvait les adopter. Méhémet prit très bien cette franchise, et fit promettre à son interlocuteur qu’au retour du voyage qu’il allait exécuter en Égypte, il ne lui épargnerait pas les observations critiques qui pourraient l’éclairer.

Le maréchal prit possession d’une jolie maison, située dans l’enceinte dite des Arabes, au pied même du fort principal, qui est un ouvrage de sa jeunesse ; il se trouvait dans des lieux bien connus, car il avait commandé à Alexandrie et dans toute cette partie de la Basse-Égypte, depuis le mois de novembre 1798 jusqu’au mois d’août 1799. Alexandrie a deux ports séparés par un isthme que forment des attérissemens : elle contient aujourd’hui quarante mille ames ; autrefois sa population ne s’élevait pas au-dessus de dix mille ; voilà le fruit des efforts pour relever la culture, et pour créer la navigation et l’industrie. Après avoir satisfait sa curiosité pour les fortifications qu’il avait construites lui-même, il y a trente-six ans, le voyageur alla examiner un des travaux les plus importans de Méhémet-Ali, le canal qui établit la communication entre le Nil et le port d’Alexandrie.

Si à l’embouchure de toutes les rivières, leur cours est ralenti par le choc de leurs eaux avec celles de la mer, nulle part la barre n’est si forte qu’aux bouches du Nil, parce qu’aucun fleuve n’a des eaux aussi chargées de limon ; aussi les dangers de la navigation sont grands quand la mer est agitée. Le pacha s’est déterminé à établir une communication navigable et directe entre le port d’Alexandrie et le Nil. Le canal, malgré les défauts dont le duc de Raguse fait une critique détaillée, satisfait en grande partie aux besoins du moment, en facilitant l’exportation des produits de l’Égypte, et, de plus, en amenant constamment les eaux douces autour d’Alexandrie, il est le principe d’une végétation active qui a remplacé la stérilité.

Au-delà du canal est le plus grand des jardins de cette contrée, qui appartient à Ibrahim-Pacha ; puis on aperçoit une immense surface brillante : ce sont des salines naturelles, qui se sont formées dans l’emplacement de l’ancien lac Maréotis. Dans cette exploration des lieux, le maréchal reconnut les moyens de fortifier plus encore Alexandrie, et il communiqua au pacha et à ses ingénieurs ses vues et ses idées sur ce grand intérêt. Il entretint aussi Méhémet sur la situation de la Syrie, s’attachant à lui faire sentir les différences qui distinguent ce pays de l’Égypte. En Syrie, la population est accoutumée à la résistance ; elle est retranchée dans des montagnes où chaque village peut se défendre. L’Égypte, au contraire, est un petit