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pays qu’on parcourt dans tous les sens avec facilité : on peut sans peine le maintenir dans l’obéissance, ou l’y faire rentrer. La population est soumise et laborieuse. L’Égypte peut, sans danger, être surchargée d’impôts : sa richesse et sa docilité le permettent ; en Syrie, tout est péril, et ses produits, quoi qu’on fasse, seront toujours bornés. Il faut donc conduire ce dernier pays par l’opinion, par les intérêts, par le sentiment de son bien-être ; il faut le ménager pour le recrutement et ne pas vouloir y établir un monopole qui amènerait la désaffection et la révolte. Méhémet-Ali parut goûter ces conseils et d’autres encore sur l’organisation des troupes syriennes.

Voici quelque chose de merveilleux : en 1828, il n’existait sur la presqu’île d’Alexandrie qu’une plage aride et déserte ; en 1834, cette plage est couverte par un arsenal complet, bâti sur la plus grande échelle, par des cales de vaisseaux, des ateliers de tous les genres, des magasins pour les approvisionnemens, une corderie de mille quarante pieds de longueur. Des ouvriers nombreux, tous Égyptiens, remplissent les chantiers. Je ne crois pas, dit le duc de Raguse, que l’histoire du monde ait jamais présenté dans aucun temps rien de pareil. Cette louange n’est pas exagérée, quand on voit que de cet arsenal, dont les fondations datent de six ans, il est sorti dix vaisseaux de ligne de cent canons, sans parler des frégates de divers rangs, des corvettes et des bricks, qui portent la flotte à plus de trente bâtimens armés. Et cependant le pays n’avait ni bois, ni fer, ni cuivre, ni ouvriers, ni matelots, ni officiers ; mais il avait pour maître un homme d’une volonté indomptable, Méhémet-Ali, qui, sachant se servir des talens insignes de M. de Cerisi, ingénieur-constructeur de la marine, passait ses journées entières au milieu des ouvriers, et prodiguait son temps, sa vie, ses ressources, à la passion d’obtenir ces prodigieux résultats. La création de l’arsenal d’Alexandrie donne une idée de la fondation des villes et des sociétés antiques : on comprend comment la volonté peut élever les murailles, les palais et les cités. M. de Cerisi donna au maréchal des détails curieux sur le caractère des Arabes. Sobres, aimant le repos, ils sont néanmoins capables d’une grande activité : leur complexion nerveuse s’exalte facilement ; quelquefois ils se découragent, mais bientôt leur énergie reparaît, et ils se retrouvent tout entiers. Seulement, dans leur langueur, il ne faut pas les maltraiter, les punir, mais il faut savoir attendre leur réveil. Cette organisation ne rappelle-t-elle pas un peu la trempe du soldat français ? Le maréchal n’a pu fermer les yeux à cette ressemblance.