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VOYAGE DU DUC DE RAGUSE.

L’heure du retour avait sonné pour le voyageur. Le duc de Raguse passa encore quinze jours au Caire, pendant lesquels il fit part à Méhémet-Ali de toutes ses remarques durant son voyage dans l’intérieur de l’Égypte ; il discuta aussi avec Soliman-Selves le plan d’une organisation nouvelle pour l’armée ; enfin, il prit congé du pacha, comblé de procédés bienveillans, et partit sur une frégate égyptienne de soixante-quatre canons, dont le capitaine, un Circassien nommé Kousrow, avait ordre de lui obéir comme à Méhémet-Ali lui-même. Après huit jours de traversée, le maréchal entra dans le port de Malte, en présence de toute l’escadre anglaise commandée par l’amiral Rowley. Un mois après, il arrivait à Civita-Vecchia.

L’Égypte est de tous les pays parcourus par le maréchal celui que son itinéraire fait le mieux connaître et c’est aussi celui dont l’exploration est la plus curieuse tant pour son passé que pour les efforts de sa civilisation nouvelle. Par le récit du voyageur, on entre dans une connaissance intime de Méhémet-Ali, qui ne montre pas trop d’infériorité dans sa laborieuse imitation de Pierre-le-Grand. Il y a du génie dans cet homme, et, quoiqu’il se trompe dans plusieurs de ses moyens, il mérite l’admiration pour les choses, qu’il a déjà faites. Eh ! comment l’esprit politique de Méhémet et d’Ibrahim ne serait-il pas inspiré dans cette terre d’Égypte par les glorieux souvenirs qui les pressent de toutes parts ? C’est du territoire d’Alexandrie, dont il venait d’arrêter le plan, que partit Alexandre pour aller chercher le caractère divin dont il avait besoin. César s’est battu dans la ville fondée par le Macédonien pour défendre sa vie et pour garder l’empire du monde. Napoléon, commençant par où finirent Alexandre et César, plaça l’Égypte à l’entrée de sa gloire comme un phare lumineux. Tout, dans cette terre, est plein de la France et de l’empereur. Là, Bonaparte a passé, ici il a combattu, plus loin il a campé. Le maréchal, dans les notes de son itinéraire, livre pour la première fois à la publicité une admirable dépêche du général en chef, au directoire, en date du 10 messidor an vii, au quartier-général du Caire. Bonaparte, après avoir tracé l’état de situation de l’armée, continue ainsi : « La campagne de Syrie a eu un grand résultat. Nous sommes maîtres de tout le désert, et nous avons déconcerté pour cette année les projets de nos ennemis… Notre situation est très rassurante. Alexandrie, Rosette, Damiette, El-Arich, Catiéh, Salahiéh, se fortifient à force. Mais si vous voulez que nous nous soutenions, il nous faut d’ici à pluviôse six mille hommes de renfort ; si vous nous en faites passer en outre quinze mille, nous pourrons aller par-