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anarchie qui éclatait scandaleusement chaque jour devant la France et l’Europe.

Cet état où se combinaient la faiblesse et la violence, ce provisoire fiévreux, qui, en réveillant toutes les ambitions, contribuait de plus en plus à relâcher le lien établi entre tous les auteurs de l’établissement du 9 août, dut enlever à M. Laffitte tous ses points d’appui. Les uns l’abandonnèrent parce qu’il se montrait trop docile devant la royauté, les autres parce qu’ils le trouvaient trop timide devant l’émeute. Tous le jugèrent dépassé par une situation qu’il n’avait pas la force de regarder en face, et dont il espérait sortir par le hasard des évènemens, beaucoup plus que par lui-même. Le roi dut faire alors, aux nécessités de sa position, un sacrifice pénible, et ce ne fut pas sans en comprendre toute l’étendue. Il se sépara de l’homme dont le commerce facile secondait, loin de les contrarier, et ses vues de gouvernement et ses plans d’avenir, et la couronne passa sous la rigide tutelle d’un ministre également jaloux et des apparences et de la réalité du pouvoir.

Un homme se rencontra qui osa ce que M. Laffitte n’avait fait que concevoir, et qui tira toute sa force de sa confiance. M. Périer n’était pas sans doute un esprit éminent, quoiqu’il fût d’une portée supérieure à celle qu’on a voulu depuis lui attribuer ; mais il avait l’ame qui fait l’homme d’action comme l’orateur ; il était doué de ces instincts merveilleux qui sont comme la partie divine de l’art de gouverner[1].

Or, ce qu’il fallait au 13 mars 1831, c’était une idée claire et féconde, facile à embrasser et à faire comprendre à tous. La France était affamée d’ordre, presque autant qu’avant le 18 brumaire, et n’eût pas été fort éloignée de l’acheter au même prix. Quiconque observait, sans parti pris, le cours où se précipitaient les idées dans ces temps d’incertitudes et d’angoisses, devait reconnaître qu’en face de la république, dont le succès ne dépendait alors que de l’issue d’une charge de cavalerie, le pays avait retrouvé ses regrets pour le pouvoir militaire : était-il même déraisonnable de penser qu’il irait peut-être jusqu’à se demander si une restauration était donc une chose tout-à-fait impossible, une alternative si funeste ?

Casimir Périer frappa donc deux partis à la fois, l’un d’une manière immédiate et violente, l’autre en lui interdisant de recueillir, tardivement peut-être, mais avec certitude, les fruits d’une anarchie qui devenait la sanction de ses doctrines.

  1. M. Royer-Collard.