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DU POUVOIR EN FRANCE.

On le sait, l’idée émise dans tous les temps par les hommes désignés sous le nom de doctrinaires, celle dont M. Royer-Collard, qu’il faut bien appeler du nom que lui a si long-temps donné la France, saluait le prochain triomphe sous l’administration de M. de Villèle, l’idée au nom de laquelle M. Guizot a si souvent proclamé la légitimité de la révolution de 1830, et la suprématie politique des classes moyennes, c’est le droit de l’intelligence au gouvernement de la société, la domination de la force civilisatrice et pacifique sur la force rétrograde ou brutalement novatrice.

« Je ne crois, disait-il en 1820, dans un chapitre sur la légitimité, où les publicistes de la droite vont chercher fort injustement des armes contre lui ; je ne crois ni au droit divin ni à la souveraineté du peuple. Je ne puis voir là que les usurpations de la force. Je crois à la souveraineté de la raison, de la justice, du droit ; c’est là le souverain légitime que cherche le monde, et qu’il cherchera toujours, car nul homme, nulle réunion d’hommes ne la possède, ne peut la posséder, sans lacune et sans limite. Les meilleures formes de gouvernement sont celles qui nous placent plus sûrement et nous font plus rapidement avancer sous l’empire de leur loi sainte. C’est la vertu du gouvernement représentatif. Quand un homme s’est prétendu l’image de Dieu sur la terre et a réclamé à ce titre l’obéissance passive, il a fondé la tyrannie ; quand un peuple s’est compté par tête et a proclamé la toute-puissance du nombre, il a fondé la tyrannie. De ces deux usurpations, la première est la plus insolente, la seconde est la plus brutale[1]. »

Ceci n’est pas sans doute un principe particulier à cette école ; il n’est pas un parti qui ne discute aussi pour prouver que son triomphe réaliserait d’une manière infaillible le gouvernement de la justice et de la vérité. La théologie elle-même, cette science de la souveraineté par excellence, enseigne que la suprême puissance de Dieu est fondée sur l’infinité de ses perfections. Mais quand d’une proposition générale qui pourrait sembler un lieu commun, on descend aux applications pratiques que l’école doctrinaire aspira constamment à en faire, on y entrevoit promptement toute une théorie gouvernementale, et l’on peut pressentir alors quelle résistance et quel concours elle devra rencontrer.

Nous demandons pardon de la longueur des citations qui vont suivre ; elles nous ont semblé nécessaires pour faire comprendre des

  1. Du Gouvernement de la France depuis la restauration. Paris, 1820.