Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
DU POUVOIR EN FRANCE.

constances les plus difficiles que la France ait traversées. Chargé d’une mission sévère et d’une responsabilité terrible, il eut le courage d’accepter complètement l’une et l’autre. Attaqué à main armée, il lui fallait jeter chaque soir en prison les vaincus de la journée ; et ce n’était pas, certes, lorsque l’audace de l’agression et l’impudeur de l’injure étaient sans limites, qu’on pouvait être admis à exiger du gouvernement la rigoureuse observance de tous les articles du Code d’instruction criminelle, et lui reprocher de sortir parfois de l’impassibilité du constable armé de sa baguette blanche.

Mais si le ministère du 11 octobre fut unanime pour la répression, on peut croire qu’il l’eût été pour la clémence dans des circonstances différentes. M. Guizot savait probablement assez l’histoire pour ne pas ignorer que l’amnistie est la seule consécration d’un gouvernement sorti des guerres civiles, et que celui-ci n’est réellement fondé qu’autant qu’il est assez fort pour la faire accepter. Accuser un homme en qui on reconnaît tous les instincts du pouvoir d’être opposé en principe à une amnistie, c’est dire qu’il ne tient pas à constater authentiquement sa force, et qu’il a le goût de la guerre pour elle-même et non pour la victoire. M. Thiers, de son côté, avait trop de sens politique pour ne pas comprendre que si Henri III avait agi, après la journée des barricades, comme son glorieux successeur en pleine possession de son royaume, les ligueurs auraient bourré leurs arquebuses avec ses lettres d’abolition.

Si dans les guerres civiles le seul jugement c’est la victoire ; si le droit qu’il convient d’appliquer à des ennemis politiques, est le droit de la guerre, la première condition pour en réclamer le bénéfice, est de s’avouer vaincu ; ce qui n’implique, tant s’en faut, ni apostasie ni humiliation. Cette déclaration n’est, en effet, que la reconnaissance d’un fait impérieux que le prisonnier de guerre confesse tous les jours avec honneur en rendant son épée. Tout parti qui réclame amnistie les armes à la main et les menaces à la bouche veut en faire une position agressive ; tout pouvoir qui l’accorde est un pouvoir avili.

Pendant la durée du ministère du 11 octobre, l’amnistie était-elle possible dans ses conditions normales d’indépendance et de force ? M. Thiers comme M. Guizot, la chambre comme la couronne, la France comme les pouvoirs de l’état, estimaient manifestement que non. Advenant plus tard des jours de lassitude pour les partis, d’avenir pour la royauté, de confiance pour tous les intérêts, le ministère du 11 octobre aurait-il fait, avec l’unanimité de résolution qui domina