Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
164
REVUE DES DEUX MONDES.

ple, de cet esprit positif et fier qui juge les choses en elles-mêmes, sans parti pris et sans système.

À la faculté de comprendre les situations, il parut unir long-temps la plus entière disposition à s’y soumettre. Cependant un grand évènement dans la vie de M. Thiers est venu modifier à cet égard l’opinion de la France et de l’Europe ; et cet évènement semble marquer dans sa carrière la transition de la fortune et de l’amour-propre satisfaits à la haute ambition qui s’éveille. On sait comme ce ministre, en possession de la confiance des grands pouvoirs de l’état, quitta les affaires sur la question d’intervention en Espagne, retraite d’habileté et de prévoyance, qui constitue désormais M. Thiers le représentant d’une idée, l’homme d’une position que le cours des choses ne saurait, tôt ou tard, manquer de reproduire, quoique avec des modifications désormais inévitables. Jusqu’alors rédacteur du National, collaborateur de M. Laffitte, ministre des travaux publics et de la police du 11 octobre, M. Thiers avait été un chaleureux écrivain, un spirituel discoureur, un merveilleux vulgarisateur des notions trop ignorées de l’économie politique, une main précieuse dans les circonstances délicates : de ce jour il est devenu puissance politique. Il a échangé la certitude de rester toujours pour le pouvoir un instrument utile contre la perspective de lui devenir plus tard un ministre nécessaire.

L’intervention en Espagne, telle que M. Thiers s’en est constitué le défenseur, était en effet une question immense, d’une portée beaucoup plus européenne que péninsulaire. Il s’agissait, au fond, bien moins de sauver un peuple voisin de l’anarchie, tâche qui, par elle-même, était déjà peut-être un devoir pour la France, que d’imposer à l’Europe le respect de la royauté nouvelle, et de conquérir pour elle une attitude fixe et honorable au lieu d’une place de tolérance. Nous avons déjà trop longuement discuté cette question pour y revenir ici. Répétons seulement que M. Thiers, en associant son avenir à une idée, expression de tout un système politique au dehors, s’est placé sur le plus solide des terrains, et qu’il peut, avec pleine confiance, attendre que chacun y revienne.

Faut-il ici prévoir une objection pour y répondre à l’avance ? Si l’on nous disait que l’idée fondamentale de cette série d’études politiques est le gouvernement par la bourgeoisie, et que l’intervention en Espagne va à l’encontre de tous les sentimens bourgeois ; si l’on s’étonnait de nous voir trouver habile en M. Thiers une résolution qui parut le séparer de l’opinion où gît la principale force sociale, nous ferions