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DU POUVOIR EN FRANCE.

observer que, si l’on doit toujours gouverner avec le concours de la classe qui domine par ses intérêts ou sa puissance morale, ce n’est pas une raison pour la suivre dans ses erreurs ou la bercer dans son imprévoyance. Dans une démocratie, le pouvoir doit toujours contenir ; sous une monarchie bourgeoise, il doit souvent stimuler, car l’un est un gouvernement d’entraînement, l’autre un gouvernement de calcul.

D’ailleurs, si l’intérêt bourgeois domine en France, cet intérêt est loin de s’y produire seul et unique. Il existe, au cœur de ce peuple, de vieux instincts qu’il faut savoir entretenir et respecter. Régner par les intérêts bourgeois, mais en donnant dans une juste mesure satisfaction au sentiment d’honneur national, maintenir la paix, mais en la fondant sur notre prépondérance morale, et non plus sur une insolente suprématie, là gît tout le problème du gouvernement de la France ; et le sphinx révolutionnaire précipitera quiconque, pour le résoudre, n’acceptera que l’un ou l’autre de ses termes, sans parvenir à les concilier.

Y a-t-il un ministère possible entre les cabinets personnifiés dans les deux membres les plus considérables de la chambre élective ? Une administration peut-elle naviguer entre Carybde et Scylla, ou, pour parler sans figure, entre la politique étrangère ou le nationalisme de M. Thiers, et la politique intérieure ou l’organisme de M. Guizot ?

Nul doute, à cet égard, si l’on se borne à tenir compte des vœux de l’opinion dominante. Cette opinion, qui est celle de Paris, des industriels, des rentiers, d’une grande partie de la propriété agricole, verrait avec une extrême répugnance le gouvernement s’engager dans des complications extérieures ; et d’un autre côté, le cœur, aujourd’hui libre de toute crainte et vide, il faut le dire, de toute foi politique, elle ne veut ni nouvelles lois répressives pour le pouvoir, ni hérédité pour la pairie, ni apanage pour la royauté ; elle repousse, en un mot, toutes les mesures constitutives que son instinct ne manque jamais d’attribuer à l’école doctrinaire, non que celles-ci lui appartiennent toujours en fait, mais parce qu’elles semblent lui appartenir toujours en principe. Si en cela l’opinion est très souvent injuste, c’est qu’ailleurs on n’est pas non plus toujours logique. C’est ainsi, par exemple, que la loi d’apanage, quoique ne provenant pas directement de l’influence doctrinaire, n’était, il faut le dire, rationnelle et possible qu’avec elle et par elle seule. Dans les idées de l’école organique, l’apanage était une institution ; hors de là il n’au-