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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

sa passion, en niant les symptômes qu’il avait cru voir, en voulant lui montrer l’état vrai des choses. Les raisons les plus fortes ne pouvaient pas le ramener. Son esprit lui fournissait des vues et des comparaisons sans nombre pour justifier sa passion réveillée. Sans jamais quitter le ton simple, sans enthousiasme apparent, il défendait ses illusions avec une éloquence grave et concentrée, soit pour mieux se tromper lui-même en donnant à son ivresse intérieure l’aspect de la raison à peine émue, soit pour ne pas agir par des effets matériels sur l’opinion de ceux qui l’écoutaient. Ses raisonnemens étaient si serrés, et, la plupart, si rigoureusement déduits des lois ordinaires qui règlent les évènemens, qu’il fallait, pour résister à ses espérances, être atteint de cette incrédulité sourde et muette qui, à certaines époques, n’est que l’effet contagieux d’une torpeur ou d’une pacification universelle. Mais pour ceux qui ne différaient d’avec lui que par des raisons ou des impressions controversables, il était difficile qu’il ne réussît pas à les faire passer de la tiédeur à l’ardeur, sauf à les faire retomber avec lui, bientôt après, de l’ardeur dans le découragement.

Au reste, ces momens de passion étaient rares : c’était moins un état de son esprit qu’une impression forte, soutenue, et dont la cause n’était jamais tout-à-fait indifférente. Ils ne rabaissaient point Carrel ; ils le faisaient voir sous un autre aspect. Après l’homme ne reculant devant aucune réalité, pas même devant celle qui le paralysait ou l’ajournait indéfiniment comme homme de parti ; aimant mieux ne rien ignorer que se tromper, et se donnant je ne sais quel plaisir supérieur de juger mieux la situation qui lui liait les mains que ceux mêmes qui la défendaient ou l’exploitaient contre lui ; après le causeur profond, fin, légèrement ironique, on voyait l’homme exalté, impatient, voulant précipiter les dénouemens et agir avec la pensée sur la matière inerte, traçant d’une main froide des paroles enflammées, trouvant dans son inépuisable logique les plus fortes raisons d’espérer après y avoir trouvé les plus fortes raisons de découragement, et combattant celles-ci avec celles-là ; seul capable de ses erreurs comme de ses bons jugemens ; crédule et dupe en quelques points, mais de lui seul, mais en homme qui semblait assez fort pour provoquer les évènemens qu’il voulait obtenir, et dont on attendait involontairement quelque explosion qui réveillât les masses populaires, ou qui fit faire à ses adversaires les fautes dont il avait besoin. À ceux qui l’ont vu de près, je n’ai pas peur que ceci paraisse exagéré. Ce que le public