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n’a pas connu de Carrel est bien plus extraordinaire que ce que les évènemens lui en ont laissé voir.

Le coup le plus sensible que reçut Carrel des évènemens, et ceci soit dit à son éternel honneur ! ce ne fut pas dans son ambition, mais dans sa plus chère pensée, dans son plus glorieux titre d’écrivain politique, dans sa théorie du droit commun. J’affirme ne lui avoir vu de tristesses vraiment amères que pour les blessures qu’elle eut à souffrir ; et, sur ce point seulement, ses désenchantemens furent douloureux. Son bon sens, encore des années de jeunesse et d’âge viril devant lui, l’inattendu, l’inconnu, pouvaient lui faire prendre patience sur ses espérances ; mais rien ne le consola de voir cette noble politique de garanties réciproques, compromise et rejetée au rang des choses à jamais controversables par tout le monde, et, comme à l’envi, par le gouvernement, par le pays, par son propre parti. C’était en effet la vue la plus haute et la plus droite de sa raison, l’instinct le plus vrai de sa nature généreuse ; Carrel était là tout entier. Jamais il ne se fût retourné contre ce noble enfant de son intelligence et de son cœur. Si quelquefois il le fit craindre par des menaces vagues qui lui échappèrent dans le feu de la polémique, ce ne fut qu’à ceux qui étaient intéressés à avoir cette crainte, et à ruiner par elle son plus noble titre à l’estime publique. Toutefois, les doutes qui purent lui venir en certaines occasions sur l’excellence de cette idée, furent, je le répète, la plus douloureuse de ses épreuves. La révolution de juillet, si extraordinaire entre toutes les révolutions par le spectacle d’un peuple laissant au vaincu la liberté de se plaindre et de se railler de la victoire, avait permis d’espérer un retour éclatant et définitif au droit commun. Carrel se fit l’organe de ces espérances et le théoricien de cette doctrine. Il traita la question avec sa rigueur et sa netteté accoutumées. Il opposa aux exemples, si nombreux depuis cinquante ans, de gouvernemens périssant tous par l’arbitraire, le modèle d’un gouvernement offrant à tous les partis des garanties contre son légitime et nécessaire instinct de conservation. Il n’invoquait que des raisons exclusivement pratiques, se refusant le secours innocent de toute forme passionnée, pour ne pas exposer sa belle théorie à l’ironique qualification d’utopie. C’est cette politique qui fit tant d’amis à Carrel sur tous les points de la France, et partout où pénétrait le National. Il eut, en dehors de tous les partis, un parti composé de tous les hommes, soit placés hors des voies de l’activité politique, soit trop éclairés pour s’y jeter à la suite de quel-