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doucement sur la table, à côté de lui. Il leva les yeux pour la remercier, et elle lui dit en souriant : « Il y en a pour quatre sous. » Ce n’était pas cher, comme vous voyez, cependant le bouquet était superbe. Valentin, resté seul, sentit le parfum frapper son cerveau excité. Je ne saurais vous dire quelle impression produisit sur lui une si douce jouissance, si facilement venue, si inopinément apportée ; il pensa à la somme qu’il avait perdue, il se demanda ce qu’en aurait pu faire la main maternelle, qui le consolait à si bon marché. Son cœur gonflé se fondit en larmes, et il se souvint des plaisirs du pauvre qu’il venait d’oublier.

Ces plaisirs du pauvre lui devinrent chers, à mesure qu’il les connut mieux. Il les aima parce qu’il aimait sa mère ; il regarda peu à peu autour de lui, et ayant un peu essayé de tout, il se trouva capable de tout sentir. Est-ce un avantage ? Je n’en puis rien dire encore. Chance de jouissance, chance de souffrance.

J’aurai l’air de faire une plaisanterie, si je vous dis qu’en avançant dans la vie, Valentin devint à la fois plus sage et plus fou ; c’est pourtant la vérité pure. Une double existence se développait en lui. Si son esprit avide l’entraînait, son cœur le retenait au logis. S’enfermait-il, décidé au repos, une orgue de Barbarie, jouant une valse, passait sous la fenêtre et dérangeait tout. Sortait-il alors, et, selon sa coutume, courait-il après les plaisirs, un mendiant rencontré en route, un mot touchant trouvé par hasard dans le fatras d’un drame à la mode, le rendaient pensif, et il retournait chez lui. Prenait-il la plume et s’asseyait-il pour travailler, sa plume distraite esquissait sur les marges d’un dossier la silhouette d’une jolie femme qu’il avait rencontrée au bal. Une bande joyeuse, réunie chez un ami, l’invitait-elle à rester à souper, il tendait son verre en riant, et buvait une copieuse rasade, puis il fouillait dans sa poche, voyait qu’il avait oublié sa clé, qu’il réveillerait sa mère en rentrant ; il s’esquivait et revenait respirer ses roses bien-aimées.

Tel était ce garçon, simple et écervelé, timide et fier, tendre et audacieux. La nature l’avait fait riche, et le hasard l’avait fait pauvre ; au lieu de choisir, il prit les deux partis. Tout ce qu’il y avait en lui de patience, de réflexion et de résignation, ne pouvait triompher de l’amour du plaisir, et ses plus grands momens de déraison ne pouvaient entamer son cœur. Il ne lutta ni contre son cœur, ni contre le plaisir qui l’attirait. Ce fut ainsi qu’il devint double, et qu’il vécut en perpétuelle contradiction avec lui-même, comme je vous le montrais tout à l’heure. Mais c’est de la faiblesse, allez-vous