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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/27

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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

chez qui tout est considérable par l’attention qu’on y donne, et qui, à la fin, ne distinguent pas leurs qualités de leurs défauts. C’est par le cœur qu’on s’améliore. S’il échappe aux premières épreuves de la vie, il devient un instrument admirable de renouvellement et de moralité. La raison, qui est la principale faculté des hommes supérieurs, n’a pas toujours ce résultat ; elle absout les fautes par l’exemple, par l’imperfection humaine, qui sont en tout de grandes autorités pour atténuer les fautes, et pour justifier l’homme de s’y abandonner. Mais le cœur, cette force divine qui nous secoue à notre insu, et dont les mouvemens sont aussi soudains qu’irrésistibles, nous entraîne aux bonnes actions avant la réflexion qui les pèse et les ajourne, et rompt les habitudes de dureté et de scepticisme où nous porte la supériorité de la raison. Carrel avait en lui cette vertu d’en haut. En même temps qu’elle le poussait aux bonnes actions, elle le tirait brusquement du sommeil égoïste où l’admiration et la flatterie jettent peu à peu les hommes supérieurs, et le renouvelait par le dévouement et le sacrifice. Il a été évident pour tous ses amis que ses défauts diminuaient en proportion de ce que gagnaient ses qualités, et avec elles sa belle renommée.

Le plus grave de ses défauts était une susceptibilité excessive sur le point d’honneur. Je ne dis rien là à quoi l’on ne s’attendît. Carrel en avait en lui le principe, qui est admirable et qu’on ne s’est pas avisé jusqu’ici de critiquer : il en avait pris l’excès à l’école militaire, et dans la vie de garnison. Né pour le commandement, peut-être pensa-t-il qu’une extrême susceptibilité lui donnerait, parmi ses camarades d’école, la place qu’ils auraient refusée à sa supériorité d’esprit, encore trop enveloppée pour être comprise. Carrel avait une volonté assez forte pour se donner toutes les qualités comme tous les défauts nécessaires pour prévaloir. Il ne lui fut pas difficile de se donner l’excès d’une vertu dont il avait le germe dans le sang et dans le cœur. Il n’eut qu’à faire d’un penchant naturel que sa belle intelligence devait régler plus tard, une manière d’être systématique qui le recommandait tout d’abord, et qui, en certaines circonstances, lui permit de faire accepter, sous la recommandation de son épée, des façons de penser ou d’agir que leur valeur propre n’eût pas suffisamment autorisées. On put dès-lors prendre pour un brave un peu difficile celui qui, dès ce temps-là, ne l’était que pour prédominer par le seul point où il le pût impunément. Carrel n’avait déjà que du courage réfléchi où on lui croyait encore un entraînement de chair et de sang. Mais les habitudes ont plus d’empire qu’on ne le croit, et la volonté