Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/313

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
DES ÉTUDES HISTORIQUES DANS LE NORD.

a été pour le Nord comme une de ces bibliothèques que l’on bâtit à l’écart, pour les mettre à l’abri de tout contact étranger. Elle a gardé fidèlement le dépôt qu’elle avait reçu, et le rend aujourd’hui à ceux qui le lui ont confié.

Mais, dans cette riche collection de sagas, il n’y a ni ordre chronologique, ni succession de faits. Ce sont des tableaux dessinés avec énergie et revêtus de vives couleurs, mais des tableaux épars. Ce sont les scènes de la vie privée plutôt que les grands drames de la vie sociale. Ce sont des biographies d’individus, parfois admirablement faites, mais ces biographies ne constituent pas l’histoire d’une nation. Les Islandais, à qui nous devons tous ces récits, souvent si vrais et souvent si étranges, n’ont sans doute guère songé à ce que nous appelons aujourd’hui écrire l’histoire. Ils aiment à conter, à entendre conter, mais il n’y a dans leurs contes ni recherches ni efforts. Ils disent ce qu’ils ont vu ou appris, et ils ne vont pas au-delà. Si une fois il leur survient une bonne bataille, c’est le premier chant de leur épopée ; s’ils rencontrent un vrai pirate, c’est là leur héros. À travers toute une époque, ils ne distinguent qu’un fait, et dans tout un pays ils ne voient qu’un homme. Ainsi ils ont entassé évènemens sur évènemens, biographies sur biographies, sans se soucier jamais de rattacher à un même lien tous ces récits décousus, de les classer et de les coordonner. Outre ces sagas où le voyageur retrace fidèlement ses voyages, ses aventures, et qu’on peut appeler sagas historiques, il existe encore des sagas poétiques où l’histoire se mêle à la fable, et des sagas mythiques dans lesquelles un récit de guerre ou d’amour n’est autre chose qu’un symbole. La tâche de l’historien est de s’avancer au milieu de ce labyrinthe confus, de discerner la vérité de la fiction, le mythe religieux de l’évènement réel, de prendre tous ces contes sans suite, tous ces faits sans date, et d’en composer un tableau suivi, une histoire réglée d’après l’ordre chronologique. La tâche est immense, et quand on en comprend toutes les difficultés, on doit rendre hommage à la persévérance avec laquelle les savans du Nord ont poursuivi un tel travail, et aux résultats qu’ils en ont obtenus.

D’après les documens écrits, on sait qu’à partir de l’époque où naquit Jésus-Christ, le peuple danois a occupé la contrée qu’il habite aujourd’hui et une partie de la Suède, la Scanie et le Bleking. Mais il n’y a point de date certaine à établir sur l’histoire de cette époque ; il n’y a que des hypothèses.

La plus ancienne relation que l’on ait sur le Nord, est celle de Pythéas de Marseille, qui vivait trois cents ans avant Jésus-Christ. Il raconte qu’il y a une terre qu’on appelle Thulé qui est située au nord, à six jours de distance de l’Angleterre, et où l’on a six mois de nuit et six mois de jour continuel. L’air de cette contrée est si froid, que l’on n’y trouve point de fruits, et que peu d’animaux peuvent y vivre. Les habitans se nourrissent de gibier, et quelques-uns d’entre eux font une boisson avec du grain et du miel.

Pythéas raconte encore qu’une race d’hommes nommée Gutons (peut-être les Goths qu’on appelait en Norvége et en Suède Juter) habite une