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DES ÉTUDES HISTORIQUES DANS LE NORD.

déjà, sur plusieurs points, vivement combattues par les savans. Mais il est le premier qui ait porté le flambeau de la critique dans les récits souvent fictifs, souvent confus des sagas. Il a dépassé, par l’étendue de ses recherches, les travaux de ses devanciers, et il a montré le chemin à ses successeurs.

Tout ce mouvement du xviie siècle est très beau. Le peuple se retourne vers son histoire lointaine, comme l’homme arrivé à l’âge mûr se retourne vers les souvenirs de son enfance. On lui raconte la vie de ses pères, et il la suit avec intérêt dans toutes ses phases de gloire et dans toutes ses heures d’orage. Les sagas, long-temps oubliées, revivent tout à coup, et enchantent, comme autrefois, l’auditoire curieux qui les écoute. Les chants des scaldes retentissent aux oreilles de la foule, et les monumens racontent à l’antiquaire patient qui les étudie, le culte des dieux, la migration des races, la mort des héros. La science soulève le voile du passé, la chaîne des temps se noue, et l’histoire moderne s’élève sur les piliers d’airain de l’histoire ancienne.

Les rois de Danemark secondèrent eux-mêmes ce mouvement de leur nation. Torfesen traduisait les documens islandais sous les yeux de Frédéric III, qui allait souvent examiner son travail ; les évêques de Skalholt et de Hoolum avaient ordre d’envoyer à Copenhague tous les manuscrits qu’ils pourraient recueillir ; et Chrétien V élut un antiquaire royal, et lui confia la mission de compulser les principaux manuscrits, de les traduire, et de rédiger une histoire de l’Islande.

Au xviiie siècle, Arne Magnussen compléta l’œuvre de ses prédécesseurs. Il avait d’abord aidé Bartholin dans ses recherches ; il fut, plus tard, envoyé par le gouvernement en Islande, et il y passa dix ans. Il voyageait, pendant l’été, de montagne en montagne, de maison en maison. Il revenait l’hiver à Skalholt, et mettait en ordre les matériaux qu’il avait amassés. Il recueillit toutes les chartes, tous les documens historiques, tous les manuscrits dispersés à travers l’île entière, enfouis dans la demeure du prêtre ou dans la cabane du pêcheur. Quand il partit, il chargea toute une frégate de ses collections ; et cette fois, la pauvre Islande se trouva complètement dépouillée de tout ce qu’elle avait si bien gardé pendant des siècles. Il ne lui resta que les souvenirs implantés par la tradition dans le cœur de ses enfans, et les livres nouveaux qu’on lui donna en échange de ses anciens livres.

De retour à Copenhague, Arne Magnussen passa des années de bonheur à compter toutes ses richesses, à dérouler ses manuscrits, et à les étiqueter. C’était un homme d’un grand savoir, qui s’oublia dans la contemplation de la science, et ne trouva guère le temps d’écrire. Il avait pourtant préparé une œuvre étendue, dans laquelle il cherchait à expliquer par la philologie l’origine et la parenté des peuples du Nord. C’était le fruit de ses nombreuses investigations, de ses longues études, et il y travaillait avec ardeur, quand tout à coup un évènement fatal vint le frapper dans ce qu’il avait de plus cher. L’incendie de 1728, qui fit d’horribles ravages dans Copenhague, consuma tous les travaux de Magnussen et la moitié de sa bibliothèque. Le malheureux courba la tête sous le poids de cette catastrophe, et dit adieu à ses