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logique se fait plus long-temps attendre. On s’assemble cent fois, on déclame avec une violence inimaginable ; on entasse des montagnes de pamphlets, de pétitions et d’adresses, avant de faire ce que, dès les premiers jours, on semblait décidé à faire, avant de joindre la pratique à la théorie. Les partis sont comme les gens de la rue, le mob ; ils s’injurient et se montrent le poing, une heure durant, avant de se résoudre à en venir aux mains. Les réformistes d’Écosse s’entendaient avec les réformistes d’Angleterre ; leur nombre était si grand, leur organisation si forte, leurs mesures si bien arrêtées, qu’ils semblaient n’avoir qu’à vouloir pour être les maîtres et emporter d’assaut le pouvoir ; la résolution leur manqua, elle ne manqua pas à leurs ennemis.

Au lieu d’agir, les réformistes écossais discouraient toujours, ils envoyaient des adresses aux réformistes anglais, qui endoctrinaient ceux d’Irlande, et réciproquement. L’adresse des Irlandais aux Écossais est le plus remarquable de tous ces manifestes. Elle se distingue autant par l’expression que par les choses qu’elle exprime. C’est la pensée irlandaise à mots couverts[1], la pensée du démembrement, le rappel de l’union, cette pensée qui a été celle de l’Irlande depuis les premiers jours de l’oppression, et que le grand agitateur, l’audacieux O’Connell, tout gouvernemental qu’il soit devenu, a certainement encore au fond du cœur.

« Réformistes nos frères, disaient les Irlandais aux Écossais, nous nous réjouissons sincèrement de voir l’esprit de liberté se lever sur le sol de l’Écosse ; nous nous réjouissons à l’idée que vous ne vous considérez plus comme engloutis dans un autre pays, comme liés sans retour à un autre peuple ; nous nous réjouissons de ce qu’aujourd’hui, dans cette grande question nationale, vous vous montrez vraiment Écossais, vraiment les enfans de cette terre où Buchanan a écrit, Fletcher parlé, Wallace combattu[2]. »

Pitt, naguère réformiste, gouvernait alors. Pitt avait plus de décision dans le caractère et d’unité dans les vues qu’une société, quelque parfaite que fût son organisation, n’en pouvait avoir. Comme il avait été dans la place, il en connaissait les côtés faibles. Il possédait en outre ce coup d’œil pénétrant du grand politique ; il savait où il fallait frapper, et comment il fallait frapper. Il hésitait cependant

  1. L’Irlande, à cette époque, avait des réformistes ; mais l’union irlandaise n’existait pas.
  2. On a attribué à tort cette adresse à Grattan ; le docteur Drennan en est l’auteur. L’adresse de Watson aux Irlandais (Moniteur de 1798) contient les mêmes pensées, exprimées d’une manière plus violente.