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RÉFORMISTES D’ÉCOSSE.

Peut-être eût-il fait triompher leur cause, si le pouvoir lui eût laissé le temps d’employer les moyens de séduction que la nature lui avait donnés. Gerald avait ce qui manquait à Muir, la connaissance des hommes. Il possédait, à un bien autre degré que lui, cette parole de feu qui échauffe les masses, cette audace qui les soulève, ce sang-froid qui les dirige. Muir était un apôtre, Gerald un chef de parti. Muir n’avait pas l’étoffe d’un réformateur qui doit réussir, d’un O’Connell, d’un Luther, d’un Mirabeau, d’un Danton ; il avait trop de scrupules d’honnête homme, trop de raison et trop peu d’élan ; sa candeur le perdit. Il crut à l’honnêteté de ses ennemis, comme si en politique un parti qui a le pouvoir et qu’on veut en dépouiller pouvait être impartial. La justice en temps de crise, c’est le rêve des belles ames, d’un Malesherbes, d’un Lafayette. Les partis sont sourds à sa voix, ils n’écoutent que celle de la nécessité qui parle plus haut ; ils ne jugent pas, ils condamnent. Gerald, Irlandais de naissance, était un homme d’une tout autre trempe que Muir. Il avait cette imagination ardente des hommes de son pays, et ce don de la parole qui leur est si naturel. Malheureusement, comme il arrive aux orateurs, la parole consumait la meilleure partie de ses forces ; dans les momens les plus critiques, il parlait plutôt qu’il n’agissait.

Héritier d’une belle fortune, Gerald avait été ruiné par les friponneries de ses tuteurs, par son imprévoyance et ses libéralités. Il s’était marié jeune ; mais, resté veuf avec deux enfans en bas âge et à peu près ruiné, il était passé en Amérique pour refaire sa fortune. Il se distingua comme avocat dans sa nouvelle patrie ; et quand plus tard il revint à Londres, il proclama hautement son enthousiasme pour les institutions politiques de l’Amérique, et se lia d’amitié avec Pitt, alors réformiste, Fox, William Godwin, et autres personnages de distinction et de talent. Durant son court séjour à Édimbourg, Gerald avait ranimé la foi chancelante des réformistes écossais. Chaque jour une jeunesse enthousiaste et une foule de délégués des diverses sections de la province accouraient à la taverne du Bœuf Noir, où Gerald était logé. Ils écoutaient avidement ses moindres paroles, et se pénétraient de la substance de ses discours, qui respiraient le patriotisme le plus exalté. Le soir, une escorte nombreuse l’accompagnait par les rues de la ville, quand il se rendait d’une section à l’autre pour haranguer les associés. Gerald avait déjà fait perdre au pouvoir l’ascendant qu’il avait reconquis depuis la condamnation de Muir. Muir, le patriote pur et modeste, était lui-même