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RÉFORMISTES D’ÉCOSSE.

aux hommes de Goldmisths’-Hall ; temps de bassesse incroyable et de misère infinie ! Burns lui-même, le grand poète de l’Écosse, n’échappa pas à la persécution. Burns avait adressé, de sa résidence de Dumfries, une lettre à la Gazette d’Édimbourg, journal réformiste ; dans cette lettre, il priait le directeur du journal de l’inscrire au nombre de ses souscripteurs. « Courage, lui disait-il, mettez à nu, d’une main ferme et avec un cœur indompté, cette horrible masse de corruption appelée politique et diplomatie. » La lettre de Burns fut décachetée à la poste et attira sur la tête de son auteur la misérable persécution de ses supérieurs de l’excise, persécution qui, au dire de Walter Scott, tory lui-même comme on sait, poussa au désespoir un homme qui possédait un incomparable talent, et exaltant sa nerveuse sensibilité d’homme de génie, brisa son cœur, troubla sa raison et abrégea si fatalement sa vie.

Il a fallu quarante ans pour que la cause des réformistes, cette cause dont les premiers apôtres avaient annoncé le prochain triomphe, prévalût, et encore partiellement. De nos jours, les réformistes sont au pouvoir, ils ont vaincu ; mais, malgré leur confiance et leur audace, on voit qu’ils craignent de perdre le terrain qu’ils ont conquis. Ils se rappellent encore les funestes années 1793 et 1794. Tout en parlant d’élever, sur le sommet de Calton-Hill, leur Westminster national, un monument à la mémoire des premiers réformistes, et tout en portant dans leurs processions, à travers les rues et les places de la métropole écossaise, des bannières blasonnées où brillent, en lettres d’or, les noms de Muir, Gerald, Palmer et Skirving, ces martyrs de l’Écosse, comme ils les appellent, ils jettent un coup d’œil sombre et inquiet sur les statues de Henry Dundas et de William Pitt, qui se dressent aux principaux carrefours de leur ville. Ils savent que ces hommes qui ont persécuté les pères ont des héritiers qui, eux aussi, persécuteraient les enfans. Ils comptent leurs rangs, leurs rangs trop peu nombreux pour la nombreuse population de la cité qui laissa condamner les premiers apôtres de leur cause, de cette cité qu’ils appellent servile, et qui, cependant, a fait d’immenses progrès dans la carrière de la liberté ; et s’ils retrouvent quelque courage, c’est en reportant leurs regards sur Glasgow, ce bras droit de l’Écosse, la ville la plus populeuse des trois royaumes après Londres ; c’est là que sont leurs adhérens les plus dévoués, leurs partisans les plus résolus et les plus nombreux ; c’est là qu’est leur armée.


Frédéric Mercey