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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

meté de cette main qui poursuit son dessein sans se laisser distraire par la partie anecdotique et pittoresque des faits, ou de cette facilité qui couvre déjà d’énormes cahiers d’une écriture serrée, rapide et sans ratures.

En écrivant ces abrégés d’histoire, Carrel ne croyait pas céder à un instinct supérieur et ne voulait pas s’exercer à l’art de l’écrivain. La preuve, c’est qu’après son acquittement et à son retour à Paris, en septembre 1824, il ne pensa pas d’abord à écrire. La tentation était grande pourtant. La presse offrait alors une voie naturelle à tous ceux qu’un goût sérieux portait vers les lettres, et un grand attrait à tous ceux qui manquaient seulement d’une vocation déterminée d’un autre côté. Carrel hésita long-temps. Sa famille lui conseillait le commerce, et il y dut penser sérieusement. On le pressait ; on craignait la perspective d’un oisif onéreux aux siens. Ce fut au milieu de ces incertitudes, qui allaient devenir des souffrances, qu’un homme de talent et de cœur, digne d’être un moment le patron de celui dont il devait être plus tard le collaborateur modeste et dévoué, M. Arnold Scheffer, le proposa pour secrétaire à M. Augustin Thierry, lequel achevait alors l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands. Sa vue, déjà affaiblie par le travail, avait besoin de la main et des yeux d’un collaborateur habile. Il offrit au jeune officier l’équivalent de son traitement. Carrel, après avoir obtenu l’agrément de sa famille, reçut une lettre de M. Thierry, conservée avec soin dans ses papiers, et que celle qui a hérité de toutes ses dettes de reconnaissance a récemment rendue, par mon entremise, à l’illustre historien. Dans cette lettre, M. Thierry mandait à Carrel « qu’il pouvait venir dès-lors l’aider dans ses recherches historiques. » Je cite ces expressions délicates qui éloignent toute idée d’une position subalterne. M. Thierry ménageait déjà dans son jeune collaborateur l’écrivain du National. « Ce travail sera peu amusant, ajoutait M. Thierry, mais il y aura peut-être quelque instruction à en retirer. » Je n’ai pas pu lire froidement ces mots. Il faut penser que ce billet si simple a donné à Carrel un moment de vive émotion et peut-être de bonheur. Il échappait à ces luttes de famille dont la fin est au prix d’une séparation ; il échappait à l’humiliante nécessité d’être un mauvais négociant.

Le travail de Carrel, installé auprès de M. Thierry, consistait à faire des recherches, à débrouiller et à mettre en ordre des notes, à corriger les épreuves de l’Histoire de la conquête. Ces travaux, et d’autres du même genre, ne sont stériles et subalternes qu’entre des