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LES CÉSARS.

et de dignité officielle, cette vie oratoire qui faisait que dès l’enfance on s’exerçait à la période cicéronienne. Plébéiens et patriciens, futurs soldats et futurs jurisconsultes, tous ceux qui recevaient une éducation recevaient celle-là. M. Pitt, à dix ans, montait sur la table, et de là improvisait devant son père de petits discours parlementaires. Auguste, à douze ans, prononçait l’éloge de son aïeule. C’était bien sous la république : la vie parlementaire était un but et un élément pour toutes ces éloquences naissantes. Sous l’empire, le but n’exista plus, mais les écoles subsistèrent. On continua à fabriquer des orateurs sans trop savoir pour quelle tribune. Et que vouliez-vous que fît la jeunesse ? L’art militaire et le droit ne sont guère des sciences d’école. D’ailleurs la jurisprudence était suspecte de républicanisme, la vie militaire très entachée de dangers et de fatigues, choses que n’aimaient plus les Romains de l’empire. Il n’y avait plus de Forum, mais il y avait encore ce sentiment artiste qui fait aimer les belles paroles, et que les Grecs avaient inspiré aux Romains. On ne délibérait plus, on discourait encore ; on avait renvoyé les orateurs, on gardait les maîtres de rhétorique.

D’un autre côté, l’éducation romaine avait perdu sa moralité première. Au patriotisme, le despotisme avait succédé ; à la divinité de la chose publique, la divinité de l’empereur. Ce dieu-là était fort redoutable ; il inspirait la peur, mais non la foi. Quel enseignement moral pouvait se baser sur l’adoration d’un Tibère ?

L’enseignement n’avait donc plus rien de sérieux ; il tombait dans les sophismes, les subtilités, les frivolités de la Grèce. Il y avait dans les anciens un fonds de dignité puérile qu’on ne laisse pas quelquefois d’apercevoir. La base de l’instruction première, c’était la mythologie des Grecs, à laquelle on ne croyait plus, mais que l’on apprenait toujours. Ces poétiques niaiseries étaient la première chose dont se remplissaient tous les cerveaux, le premier caractère dont l’imagination naissante, cette cire molle, restait timbrée. Ajoutez que l’érudition s’y était mise, et que, sans croire à Vénus ni à Hercule, on discutait avec conscience sur la couleur des cheveux de Vénus, sur le jour de la naissance d’Hercule. Il y avait des gens appelés grammairiens dont la suprême science était celle-là, et c’était à ces gens que l’on confiait l’intelligence naissante des enfans. On demandait à un précepteur que l’on voulait prendre le nombre des chevaux d’Achille, le nom de la mère d’Hécube. Tibère, ce vieux et farouche tyran, adorait les grammairiens, et passait ses momens de répit à leur poser des questions pareilles.