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De chez le grammairien le jeune homme passait chez le rhéteur, des puérilités de la religion aux puérilités de l’éloquence. Les Grecs, peuple bavard, avaient une foule de beaux diseurs depuis qu’ils n’avaient plus de Démosthènes. Quand Rome leur fut ouverte, tout cela vint professer à Rome, et y établir, comme les appelaient les vieux pères conscrits, leurs écoles d’impertinence. Ce qui caractérisa ces écoles, ce fut une combinaison de l’esprit alambiqué, puéril et disputeur des Grecs, avec l’esprit tendu, lourd et emphatique des Romains, l’union de la déclamation et du sophisme. Comme on n’avait rien autre à faire, ce fut une rage de déclamer, de disputer, de controverser, de plaider, de répliquer, d’improviser, de répondre. Vinrent à leur tour les nouveaux sujets de Rome, les barbares que l’on civilisait, criant, sophistiquant, avocassant à l’envi ; Gaulois, Bretons, Africains, Espagnols surtout, aux larges poumons, à la puissante poitrine, à l’imagination désordonnée, parlant des jours, des nuits entières, déclamant à table, déclamant en voyage, déclamant sous la tente. La vie de ces gens-là était un perpétuel monologue. Maintenant, dire quelle misérable chose c’était que leur faconde, ce serait difficile. L’un, pour augmenter la difficulté, demandait qu’on lui donnât le premier mot de son discours ; on lui donnait verubus, et il commençait par verubus. L’autre se proposait pour sujet d’éloquence cette question : « Pourquoi, si on laisse tomber un verre, se casse-t-il ? Pourquoi, si on laisse tomber une éponge, ne se casse-t-elle pas ? » Voici en peu de mots comment on procédait. Les commençans étaient bornés à des discussions moins incisives (suasoriæ). Ils engageaient Alexandre à se contenter d’avoir conquis la terre, à ne pas conquérir l’Océan. Ils conseillaient à Caton de ne pas se tuer, ou à Agamemnon de ne pas faire périr Iphigénie. Mais ces querelles avec les morts n’étaient que des jeux d’enfans ; il fallait en venir à la controverse, soutenir la lutte contre un adversaire, livrer bataille sur la grande scène de l’école. Les sujets de ces controverses sont incroyables. Voici quelques-unes de ces plaidoiries fictives sur lesquelles vous me pardonnerez d’insister, puisqu’elles étaient le dernier perfectionnement de l’éducation, l’exercice le plus intellectuel de la jeunesse et même de l’âge mûr.

Un homme et sa femme se font serment de ne pas se survivre. Le mari, un peu las de sa moitié, part pour un voyage et lui fait annoncer sa mort. Elle, trop confiante, tient parole et se jette par la fenêtre. Elle ne meurt pas cependant, elle guérit et apprend que son mari l’a jouée. Arrive son père, qui veut le divorce ; elle sans rancune, n’en