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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/407

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LES CÉSARS.

peu à peu il se sentit fortifié, et c’est ici qu’il sut se servir de cette jeunesse des écoles dont nous parlions.

Chez les anciens, le droit d’accuser, comme chacun sait, appartenait à tous, l’accusation était populaire. Un jeune homme, tout frais émoulu des combats de l’école, jeté dans la lice, bien des fois sanglante, des partis, ne connaissait rien de mieux que de lancer dès l’abord son gant au parti contraire, de prendre un homme corps à corps et de l’accuser. — Quel était le sujet de l’accusation ? Peu importe ! il s’agissait d’obtenir une victoire pour son parti, de faire prononcer les juges pour soi, d’exiler un des adversaires (car, dans la règle, on ne mettait pas à mort). L’accusation était le début, elle était plus hardie, plus brillante, plus honorée que la défense ; l’humanité n’était pas une vertu chez les anciens ; Sénèque la défend aux stoïciens, et Virgile dit du sage : « Il n’a ni pitié pour le pauvre, ni envie pour le riche. » Crassus fut accusateur à dix-neuf ans, César à vingt-un, Pollion à vingt-deux.

Avec cela se combine un trait des plus remarquables des mœurs anciennes ; l’inimitié n’était pas, comme chez nous, quelque chose d’équivoque, qu’on avoue à peine, qui se cache sous des formes polies ou sous l’affectation de l’indifférence ; c’était quelque chose de patent, d’authentique, de formel, de déclaré. On entamait une inimitié, pour ainsi dire, comme on entame un procès ; c’était une affaire que l’on commençait en faisant dire solennellement à un homme que l’on cessait d’être son ami, et que l’on terminait en plein Forum devant des juges, en lui faisant, par sentence politique, interdire le feu et l’eau. C’était souvent ce qui jetait un homme dans un parti pour être à même d’y défier son ennemi ; en un mot, c’était le duel de ce temps-là : il s’y mêlait du point d’honneur. Cicéron se justifie par l’intérêt public d’avoir fait cause commune avec ceux qui avaient été ses ennemis. On se faisait gloire d’avoir des inimitiés, de les entreprendre, de les soutenir, de les mettre à fin ; il y en avait d’héréditaires dans les familles ; en un mot, dans l’âpreté de cette vie parlementaire, elles étaient à la fois un devoir, une gloire, un objet d’ambition, et pour les soutenir, la grande arme, c’était l’éloquence.

Sous l’empire, tout cela subsista, mais sans cette union avec la vie publique qui donnait à ces passions un but, une utilité, une grandeur. Il y eut, comme par le passé, des haines personnelles et des haines de familles, d’effroyables désordres ; — le luxe, l’habitude de l’empoisonnement, l’attérissement des fortunes, ne faisaient que les rendre plus violentes. De toutes ces familles sans lien et sans pudeur,