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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/41

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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

« Vous croyez donc, monsieur, que mon fils réussira, et qu’il aura une carrière ? » — « Je réponds de lui comme de moi-même, dit M. Thierry ; j’ai quelque expérience des vocations littéraires : votre fils a toutes les qualités qui font le succès aujourd’hui. » Pendant qu’il parlait, Mme Carrel fixait sur lui un regard pénétrant, comme pour distinguer ce qui était vrai, dans ses paroles, de ce qui pouvait n’être que politesse ou encouragement. Quant au jeune homme, il écoutait sans rien dire, respectueux, soumis, et, à ce que raconte M. Thierry, presque craintif devant sa mère, dont la fermeté d’esprit et la décision avaient sur lui beaucoup d’empire. Carrel ne fléchissait que devant ses propres qualités, car ce qu’il respectait dans sa mère n’était autre chose que ce qui devait, plus tard, le faire respecter lui-même comme homme public.

La première réunion avait laissé des doutes à Mme Carrel. Au sortir de la seconde, où, pressé entre ces deux volontés inflexibles, l’une qui lui demandait presque de s’engager pour son fils, l’autre, discrète et silencieuse, qui lui promettait de ne pas lui faire défaut, M. Thierry s’était sans doute montré plus affirmatif, Mme Carrel partit pour Rouen, plus convaincue et plus tranquille.

J’ai dit quels services Carrel avait rendus, comme collaborateur, à M. Thierry. Quant aux rapports d’homme à homme, sans être jamais familiers, rien n’y manquait de ce qu’une grande estime réciproque pouvait y mettre de solidité et de charme ; mais Carrel montra toujours beaucoup de réserve. Cette disposition, nullement gênante dans le tête-à-tête, à l’arrivée d’un étranger, devenait de la contrainte. Un jour, un parent de M. Thierry entre au moment où Carrel lui faisait la lecture d’un journal. Après quelque conversation, cette personne prie bien innocemment Carrel de continuer. Il avait trop de tact pour s’y refuser, mais trop de susceptibilité pour s’y résigner sans chagrin. La personne partie, on se remet au travail. M. Thierry ne tarde pas à voir que Carrel n’a pas toute sa bonne humeur, et, comme son amitié lui était aussi précieuse que ses services, il lui demande ce qui a pu le mécontenter. Carrel le lui avoue. « Il n’est service pour vous, dit-il, qui me répugne ou me coûte ; mais je ne veux pas que d’autres me demandent ce que vous avez seul le droit d’obtenir. » M. Thierry lui fit de tendres excuses. Carrel ne voulut pas être en reste avec lui ; il y répondit par d’autres excuses. « Il faut me pardonner, disait-il ; je suis militaire, et les militaires ont la mauvaise habitude de se tenir offensés de riens. »

Les trois mois obtenus par M. Thierry s’étaient écoulés, et l’His-