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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/428

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REVUE DES DEUX MONDES.

Rhianus, Parthénius, et faisait mettre dans la bibliothèque publique leurs écrits et leurs portraits ; avec des formes un peu acerbes, il est vrai, trop honnête homme pour ne pas déplorer dans sa retraite de Caprée le sang que la nécessité lui faisait verser, passant bien certainement quelques nuits en larmes ; quand il le pouvait, épargnant des coupables (on en citerait bien deux ou trois exemples), plein de pitié surtout pour ceux qui s’étaient tués avant d’être jugés (pour ceux-là, s’ils eussent eu le bon esprit de vivre, il assurait au sénat qu’il les eût épargnés), mais ne laissant pas la sensibilité de son cœur empiéter sur ses devoirs patriotiques, et, pour employer le mot, gardant toute son énergie.

Toutes ces apologies sont aussi raisonnables les unes que les autres, elles ont le charme du paradoxe, qui est grand, j’en conviens ; mais j’aime aussi le fond des choses et la vérité, et si parfois la vérité s’accorde avec l’opinion vulgaire, je me résigne à suivre l’opinion. Je ne puis pas trouver grand mérite à cette énergie qui sacrifie non pas elle-même, mais autrui ; ni grande justification dans ce principe de la nécessité que Milton appelle l’excuse des tyrans : les crimes ne me semblent jamais absolument nécessaires ; ni grande justesse dans l’apologie des moyens par le but : le but, après tout, est une théorie bonne ou mauvaise, comme on voudra, mais qui ne peut être ni vertueuse, ni coupable. Il est permis à tout le monde de rêver l’égalité à la Spartiate ou la loi agraire de Babeuf ; ce qui est innocent ou criminel, ce sont les moyens. C’est là ce que l’histoire peut juger, c’est par là que se distingue le génie fécond en ressources de la médiocrité sanguinaire.

N’oublions pas notre première pensée, l’influence qu’eut sur l’époque de Tibère une éducation fausse et déclamatoire ; elle fut bientôt sentie, et il est curieux de voir comment on chercha à réagir sur les idées. — Sous Trajan, après un siècle à peine interrompu de maîtres à la façon de Tibère, il sembla qu’on se hâtât de profiter de ce moment de repos pour combattre un mal que l’on sentait toujours au fond de la société. Voyez Pline tonnant contre les délateurs. Tacite saisissant les premiers jours où l’on pouvait enfin parler, reprenant à son premier principe et à son premier fondateur, Tibère, toute l’histoire de la tyrannie, et la suivant jusqu’à sa fin, pour en inspirer l’horreur et en éviter le retour : vrai pamphlet tout plein d’éloquence et de vérité, écrit sous la puissance d’un sentiment réel, dirigé contre un esprit qui durait encore, en quelque sorte dicté en commun par tous ceux qui avaient vu la tyrannie et qui craignaient