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dans les plus modestes emplois. L’idée du devoir a toujours constitué le principe dirigeant de sa propre conduite et celui qu’il s’est efforcé d’inculquer aux autres. Qu’on ouvre ses dépêches, ses ordres du jour, ses lettres, ses discours ; on n’y trouvera presque jamais d’appel à l’ambition, à l’amour de la gloire, ou à tout autre mobile intéressé des actions humaines ; le devoir d’un soldat envers son chef, d’un fonctionnaire civil envers son roi, voilà le seul ressort qu’il mette en jeu, le seul trait auquel il reconnaisse l’héroïsme.

On dit que Napoléon parlait en termes fort méprisans de la capacité militaire des officiers qui avaient appris la guerre au service de la compagnie. Sous le rapport purement militaire, il avait peut-être raison ; mais sous un autre point de vue, cette école n’est pas sans avantages pour ceux qui ont le talent d’en profiter. Le service de l’Inde accoutume les officiers, qui, sous les drapeaux de l’armée anglaise, auraient long-temps végété dans une sphère d’action subalterne et restreinte, à de grandes vues et à des opérations qui embrassent un vaste territoire. Ils y commandent une étendue considérable de pays ; ils ont à pourvoir à l’entretien d’immenses armées ; ils ont à exécuter des marches et quelquefois des mouvemens militaires combinés dans de larges proportions, à un âge où, s’ils étaient restés en Europe, ils n’auraient eu d’autres moyens d’instruction, d’autre tâche à remplir, que de surveiller les détails routiniers d’une garnison et la tenue d’un régiment pour la parade. Wellington en tira encore un grand avantage sous un rapport tout différent. Ce fut pour lui une école de diplomatie pratique ; il y apprit l’art de traiter avec des hommes de nationalités et de mœurs diverses, sans blesser leurs intérêts, ni leurs préjugés. Et ce fut assurément cette éducation qui, jointe à sa patience et à son incomparable égalité de caractère, lui donna plus tard une si grande supériorité sur tous les autres généraux anglais dans ses relations épineuses avec nos alliés de Portugal et d’Espagne. Seul il parut comprendre l’indolence et l’orgueil de ces nations singulières ; seul il parut capable de tirer parti de leur bravoure et de leur dévouement, sans compter sur elles pour des efforts qu’elles ne voulaient pas faire et pour une intelligence qu’elles n’ont pas. Il avait pour maxime, ce sont ses propres paroles, « qu’il faut faire de son mieux avec les instrumens qu’on a, et non pas se fâcher contre eux. » Aussi, tandis que d’autres, séduits par les vanteries des Espagnols, se laissaient aller à des espérances exagérées, et puis se décourageaient en les voyant si mal tenir leurs promesses, seul il ne donnait aucune prise à l’exaltation